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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/351

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des voyageurs n’est pas, on le sait, la moins réjouissante des deux ; Mlle de Knesebeck, présente à ces conservations, nous dit que le jeune homme ne s’en faisait pas faute. « Il était très amusant, dit la dame d’honneur ; sans doute il mentait beaucoup ; la princesse riait comme une folle. »

Cependant Mme Platen, qui avait brouillé le ménage, n’était pas plus avancée. Ne pouvant captiver les attentions de Koenigsmark, elle trouvait son empire ébranlé, et séchait de dépit. En vain elle tentait de noircir auprès de l’électeur une amitié dont il connaissait la source et la portée ; quand elle désespéra de réussir autrement, elle résolut de porter les grands coups ; ces expressions n’ont rien d’exagéré. Des passions puériles dans leur violence mènent au crime et au meurtre aussi sûrement que les grands intérêts. Les princes de cette époque, imitateurs légers de Louis XIV, ne se doutaient pas qu’en essayant d’introduire les voluptés élégantes de Versailles dans leurs châteaux d’Herrenhausen et d’Osnabrück, sans y faire pénétrer en même temps nos délicatesses réparatrices et nos fines convenances, ils composaient le plus dangereux poison ; de ces rivalités de femmes, de ces intrigues d’alcôve, de ces mascarades étourdies, sortiront des drames ensanglantés.

A force de penser à ce Kœnigsmark qui lui résistait, la comtesse Platen s’occupa de lui sérieusement. Toutes ses munitions de coquetterie étaient épuisées ; il n’y avait plus ni dédains, ni épigrammes, ni détours à employer ; elle fit feu de ses dernières cartouches, et au milieu de l’un des bals masqués qui constituaient la vie de l’évêque, elle alla droit à Kœnigsmark et se déclara bravement. Un pas de ballet dont il s’était bien tiré en fournit l’occasion ; « elle espérait, dit-elle au comte Philippe, qu’elle aurait enfin l’honneur tardif de le recevoir chez elle et de le féliciter d’une élégance qui enlevait tous les suffrages. » L’heure de cette visite fut fixée par elle-même ; c’était après le bal, qui, dans ces temps primitifs, se terminait à neuf heures. Koenigsmark répondit avec la politesse convenable, et fit honneur au rendez-vous ; le lendemain, toute la ville et surtout Sophie-Dorothée le savaient.

Déjà la princesse, qui ne prétendait point à l’amour de Kœnigsmark, et qui pensait surtout aux cheveux blonds et aux yeux allanguis de Mlle de Schulenburg, avait raillé le jeune homme sur les évidentes obsessions dont il était l’objet. On avait beaucoup ri en comité secret de la belle Platen, de ses trames perdues, de ses nouvelles ardeurs, et un peu de l’électeur-évêque, son ami ; je ne jurerais pas