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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/353

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Élisabeth Platen, qui se doutait qu’elle était jouée et qu’on riait d’elle, s’agitait dans la douleur et la colère. Elle se sentait profondément méprisée de ce Kœnigsmark, venu tout exprès pour la punir, et auquel l’attachait un amour mêlé de haine, un de ces amours implacables qui mûrissent dans l’automne des passions et des intrigues. Elle lui avait défendu de visiter son ennemie ; il en riait. Elle l’avait dénoncé à George et à l’électeur comme l’amant de la princesse ; on n’en avait rien voulu croire. Fatigué des ardeurs croissantes de la comtesse, il jugea commode de prendre la fuite et d’aller, loin des intrigues sérieuses qui ne l’amusaient guère, passer quelques semaines chez l’électeur de Saxe, ce même Auguste aux cinquante-trois bâtards et aux sept cents maîtresses, dont sa sœur Aurore avait été la favorite. Là Koenigsmark se trouvait dans son élément ; il fut l’ame et la vie des fêtes de l’électeur, et amusa ses compagnons de table aux dépens des deux petites cours de Hanovre et de Zelle. C’étaient des descriptions à n’en plus finir de l’évêque en Apollon, de Mlle Platen en Vénus, des deux Meisenberg blotties dans la robe de chambre de l’évêque, de Mlle de Schulenburg, la blonde, vêtue en amazone, et forcée de courir après son royal amant à travers les bois et les forêts, Sophie-Dorothée était seule ménagée. On avait autrefois chassé du palais du duc de Zelle et du service particulier de sa fille une personne jolie, déjà corrompue, que l’électeur de Saxe avait fait entrer dans son harem. Elle assistait avec beaucoup d’autres aux récits plaisans de Koenigsmark, et comme elle était l’espionne payée de la comtesse Platen, cette dernière fut instruite aussitôt de ce qui se disait sur son compte, à la table et dans le palais de l’électeur. Koenigsmark avait diverti ces dames non-seulement aux dépens du rouge et des mouches de sa conquête, mais sur des chapitres bien plus piquans, et personne n’ignorait les jalouses fureurs de la Roxane de Hanovre et les particularités de sa beauté.

L’étourdi revient au palais électoral, où son titre de colonel des gardes le rappelle. Il ne s’occupe pas de la terrible comtesse, et ne rend visite qu’une seule fois à la princesse, dont la situation était devenue insoutenable ; le plan de celle-ci était d’ailleurs arrêté pour la fuite. Koenigsmark lui promet de l’avertir dès qu’il aura fait les préparatifs qui doivent la conduire à la cour de Wolfenbüttel sous la sauve-garde de sa fidèle Knesebeck et de six trabans. On convient, pour ne pas attirer l’attention, de cesser toute espèce de rapports jusqu’au moment du départ. Ces grandes aventures, cet air de protecteur de l’innocence et d’enleveur de princesses le séduisaient, et son étourderie