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KŒNIGSMARK, se soulevant sur le coude et ouvrant les yeux. — Ah ! vipère ! c’est vous !
LA COMTESSE. -Tu achèves de te perdre, traître ! Il faut que tu avoues !
KOENISMARK. — La princesse est innocente !
LA COMTESSE, soulevant Kœnigsmark évanoui. — Du vinaigre ! Serrez ce mouchoir autour de sa tête !
KOENIGSMARIK, après avoir respiré du vinaigre, rouvre les yeux et voit encore Élisabeth Platen. — Furie exécrable !
(La comtesse, agenouillée, se relève et laisse tomber la tête de Kœnigsmark sur le pavé ; la bougie qu’elle tenait échappe de ses mains ; poussant un cri pendant qu’elle semble glisser dans le sang du blessé, elle étouffe du pied sa dernière imprécation.)
LA COMTESSE. — Qu’y a-t-il ? Mort ? Est-il possible ! Qu’on le ranime, qu’on le soigne ! Je vais trouver l’électeur et prendre ses ordres.
(Les quatre trabans essaient de bander ses plaies et restent silencieux autour du cadavre.)
PREMIER TRABAN. — Il est mort !
DEUXIEME TRABAN. — Plus rien !
TROISIEME TRABAN. — Voilà une belle affaire. Après tout, nous n’avons fait qu’obéir.


Ce fragment ressemble à une scène de Shakspeare comme une forêt dessinée sur l’agathe naturelle ressemble au tableau d’un maître. Le corps de Kœnigsmark, jeté dans un lieu immonde, fut dévoré par la chaux vive sous les yeux d’Élisabeth. Telle fut la fin du plus brillant cavalier de ce temps et de cette cour.

On avait vu des lumières traverser les appartemens, et Koenigsmark avait disparu, voilà tout ce que l’on sut ; les trabans reçurent de l’argent et se turent. Personne n’osa parler de ce mystère, où l’on soupçonnait un crime.

Cependant Sophie-Dorothée, ignorant ce qui avait eu lieu, avait passé une partie de la nuit à ranger ses bijoux et à continuer les préparatifs de ce départ si désiré pour Wolfenbüttel. Il n’était plus temps. Placée sur une pente fatale, chaque instant qui s’écoulait la faisait descendre un peu plus bas vers la ruine qui l’attendait. Dans les papiers de Koenigsmark, saisis aussitôt après l’assassinat, se trouvaient de nombreuses lettres que la princesse lui avait écrites pendant son séjour à Dresde, et où sa colère et son ironie contre l’électeur, George son fils, Élisabeth Platen, Bernstorff, et même contre l’indifférence et la faiblesse de son propre père, le duc de Zelle, éclataient en vives épigrammes et en mouvemens d’indignation. Ces malheureuses lettres, montrées aux intéressés et commentées par la comtesse, enlevèrent à Sophie les derniers protecteurs sur lesquels elle pouvait