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jusqu’à celui où il entre sur le territoire hollandais, entre Émerick et Nimègue ; mais par la cession de cette rive à la France, des princes allemands de tout rang et de tout état, tant héréditaires qu’ecclésiastiques, avaient fait des pertes considérables en territoire et en revenu. » L’histoire des arrangemens nécessaires pour compenser ces pertes est tracée de la manière la plus lumineuse par M. Thiers, qui l’a fait précéder d’une exposition nette et précise de l’ancienne constitution germanique. Après cette habile excursion dans le passé, l’historien est mieux en mesure de nous faire comprendre les affaires du présent. Quelle était alors à l’égard de l’Allemagne la politique de Napoléon ? C’était une pensée toute de sagesse et de modération. Cimenter une alliance solide et fructueuse avec la Prusse, contenir l’Autriche sans l’écraser, satisfaire par de justes indemnités les états de second et de troisième ordre, tel fut le but de la médiation qu’il offrit à l’Allemagne, et qu’elle accepta avec empressement. Les affaires dont Napoléon se chargeait se faisaient vite et bien. Quand tous les intérêts eurent été loyalement débattus et réglés équitablement, Napoléon ne permit pas qu’un dénouement utile à tous fût retardé et compromis par des lenteurs dangereuses, et le 25 février 1803, la diette germanique adopta définitivement le recel qui sanctionnait des divisions nouvelles dans le territoire politique de l’Allemagne, et la sauvait ainsi de la guerre civile et de l’anarchie. Dans les affaires de la Suisse, l’intervention de Napoléon ne fut pas moins efficace. C’est à Paris que des Suisses appartenant à toutes les opinions qui divisaient leur patrie travaillèrent sous les yeux de Napoléon à l’acte de médiation qui devait procurer à la Suisse une longue période d’ordre et de repos. Il faut lire dans M. Thiers la belle allocution que le premier consul adressa aux représentans de la Suisse au moment où ils allaient ouvrir leurs conférences. Ce discours fut recueilli par plusieurs personnes à l’époque où il fut prononcé. M. Thiers, en travaillant sur toutes ces versions, a réuni ce qui était commun à toutes, et ce qui concordait avec les lettres écrites sur ce sujet par le premier consul. De ce travail de l’historien, il est sorti un morceau comparable aux plus belles harangues que nous ait léguées l’antiquité.

Ce spectacle de la grandeur de la France, qui exerçait ainsi sur l’Europe une sorte de dictature morale, était insupportable à l’Angleterre. » Qu’on imagine, dit M. Thiers, un envieux assistant aux succès d’un rival redouté, et on aura une idée à peu près exacte des sentimens qu’éprouvait l’Angleterre au spectacle des prospérités de la France. » C’est avec ces simples et incisives paroles que M. Thiers commence l’exposition de toutes les causes morales qui amenèrent la rupture de la paix d’Amiens. Ces causes sont déduites avec une impartialité lucide. Le ministère Addington désirait sincèrement le maintien de la paix ; mais il était faible, et n’osait pas faire ce qui eût été nécessaire pour rester en bonne intelligence avec le gouvernement français, c’est-à-dire rendre Malte et appliquer l'alien-bill aux émigrés qui