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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/386

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conspiraient à Londres. Fort de son droit, le premier consul parlait à l’Angleterre avec une énergie, avec une véhémence dont nous trouvons la trace dans une bien remarquable dépêche à M. Otto, et dans un entretien avec l’ambassadeur anglais, lord Withworth ; mais il fallait que les destins s’accomplissent. Le ministère Addington, qui tremblait à la fois devant Pitt et devant Fox, prit, en raison de sa faiblesse même, l’initiative de la rupture. Les deux gouvernemens rappelèrent chacun leur ambassadeur, et une lutte terrible se prépara. Quel devait en être le théâtre ? L’Angleterre elle-même. Le livre XVIIe de l’histoire de M. Thiers, intitulé : Camp de Boulogne, expose pour la première fois dans ses derniers détails et sur les documens les plus positifs, tels que la correspondance de l’amiral Bruix avec le ministre Décrès et avec Napoléon, la gigantesque conception d’une invasion en Angleterre. Tout paraît tellement prévu, si bien calculé et préparé dans cette entreprise inouie, qu’elle perd pour ainsi dire une partie de sa témérité Jamais on n’a mis tant de réflexion à combiner le plus audacieux de tous les plans. L’Europe contemplait les préparatifs du premier consul avec stupeur, l’Angleterre avec un véritable effroi. Il est un mot remarquable que l’empereur François II dit alors à notre ambassadeur, M. de Champagny, mot qui arrive pour la première fois à la notoriété historique : « Si le général Bonaparte, dit François II, qui a tant accompli de miracles, n’accomplit pas celui qu’il prépare actuellement, s’il ne passe pas le détroit, c’est nous qui en serons les victimes, car il se rejettera sur nous, et battra l’Angleterre en Allemagne. » Ces paroles furent sur-le-champ consignées dans une dépêche par M. de Champagny : elles dénotent une rare prévoyance ; mais, comme le remarque M. Thiers, cette prévoyance servit bien peu à François II, car c’est lui-même qui vint plus tard offrir à Napoléon l’occasion de battre, comme il disait, l’Angleterre en Allemagne.

Pour se défendre contre les immenses préparatifs de Napoléon, l’Angleterre ne se contentait pas d’augmenter sa flotte et d’improviser une sorte d’armée de terre, afin de résister à l’invasion : elle songeait à susciter contre nous une coalition sur le continent ; elle ne resta pas étrangère non plus à la vaste conspiration que George Cadoudal et les princes français ourdirent contre la personne et le gouvernement de Napoléon. C’est l’histoire de cette conspiration qui termine le quatrième volume de M. Thiers. Dans ce drame compliqué, l’historien fait la part et juge le rôle de chacun avec une rare fermeté d’esprit. Dans la main de M. Thiers, la plume de l’histoire ne fléchit pas ; elle sait tracer les arrêts sévères que la justice réclame. Nous ne serions pas étonnés que certaines passions accueillissent par des cris de colère les jugemens portés par l’historien sur George, sur les émigrés, sur les princes qui conspiraient à Londres. M. Thiers a trouvé des paroles d’une indignation éloquente contre ces assassins qui prétendaient passer pour des héros. Il a mis aussi en complète lumière l’étroite connexité de la conspiration de George avec l’immolation du duc d’Enghien. Cette dernière catastrophe