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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/403

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du nombre placé à côté de Dieu et de la matière, tout prouve que le fouriérisme se fonde sur l’harmonie pythagoricienne et sur tous les principes des mystagogies antiques. Fourier substitue souvent une preuve à l’autre dans la polémique ; attaqué par l’expérience, il riposte par le principe d’association ; attaqué sur l’association, il critique la civilisation. Souvent les conséquences se présentent chez lui comme des principes, car il joue la Providence elle-même sur ce coup de dés du phalanstère : forcé par l’analyse à donner son dernier principe, le système se réduit à un labyrinthe inextricable d’analogies mystagogiques toujours entrevues, jamais expliquées. Ainsi, pour admettre l’instrument de Fourier, il faut d’abord rejeter la civilisation comme une tyrannie morale, politique et religieuse ; ensuite on doit croire aveuglément que la nature est partout et toujours heureuse. En troisième lieu, il faut avoir une foi inébranlable dans le principe du nombre, le vrai dieu de Fourier. Quand on a surmonté cette triple épreuve, quand on est persuadé que les planètes tournent avec une vive satisfaction autour du soleil, il reste une dernière épreuve, la plus dure : il faut croire aveuglément à la parole de Fourier, car il ne donne point le secret du phalanstère. Au reste, sa science, nous le répétons, était la science des anciens. L’antiquité se confiait naïvement dans les forces vivantes de ce monde ; elle croyait que le nombre pouvait déchirer le voile qui cache les dieux élémentaires, elle épiait, elle écoutait, elle attendait le moment où l’oreille de l’homme pourrait saisir les voix divines ou l’harmonie mondiale. En contemplant la nature, Fourier a entendu le dernier retentissement de la lyre d’Orphée ; la magie musicale de Saraswati a troublé sa raison ; dans son égarement, il a vu la nouvelle Jérusalem du phalanstère dessinée à grands traits dans la création : de l’erreur, il a été conduit au délire. Suivons-le dans cette hallucination poétique.


II. — L’EPOQUE HARMONIENNE

Persuadé d’avance qu’il pouvait satisfaire toutes les passions, Fourier n’a plus qu’à imaginer, à rêver ; le nombre établit à priori le bonheur universel, on n’a donc à interroger la nature que pour chercher les plus heureuses combinaisons de l’instinct, qui se réaliseront toutes dans le phalanstère. Il faut d’abord que le groupe et la série se développent spontanément, librement : quatre passions, l’amitié, l’amour, le famillisme, l’ambition, peuvent grouper les hommes ; la cabaliste, la papillonne, la composite, peuvent développer la série ; le nombre assure ce prodige, donc la confusion disparaît dans la nouvelle commune, organisée par groupes et par séries ; ces groupes et ces séries animales correspondent à tous les travaux de l’industrie. Il y a des fonctions monotones dans la subdivision du travail, mais la papillonne peut les parcourir toutes en courtes séances. Il y a des travaux odieux, mais les machines peuvent les faciliter, les vilains goûts peuvent s’en charger. Comment suppléer au travail répugnant de la domesticité ? Les amis, les flatteurs peuvent remplacer les domestiques. Quant aux travaux malpropres, on