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enfans civilisés du spectacle de l’industrie attrayante ; suivant lui, la vision du phalanstère peut tuer comme la vision de Dieu.

L’image du phalanstère se reproduit en grand dans l’humanité : la musique mondiale coordonne les individus dans la commune, comme elle coordonne les phalanstères dans l’harmonie universelle. Les phalanstères se développent donc par groupes et par séries ; en se développant, ils enfantent les provinces, les états, les royaumes, les empires, les trois césariats harmoniens, enfin l’administration unitaire du globe, ayant son siège à Constantinople et sa papauté unithéiste dans l'omniarche. Le mouvement de l’harmonie universelle est double, de même que le mouvement du phalanstère ; la concurrence des six cent mille phalanges du globe donne libre essor à tous les instincts de l’humanité ; cette concurrence crée l’administration unitaire du globe ; une fois constituée, l’administration unitaire distribue les royaumes, les récompenses, gouverne le monde par un mouvement qui descend de haut en bas. La double échelle est immense, la hiérarchie illimitée ; l’ambition, excitée partout, ne conduit nulle part à la guerre ; le phalanstère a doublé, centuplé l’étendue du globe. La terre est désormais un labyrinthe où César et Pompée, le pape et l’empereur marchent toujours sans se rencontrer jamais : l’ambition profitera d’autant plus à l’humanité qu’elle sera plus forte, Néron sera plus utile que Fénelon. L’industrie attrayante entraîne les sauvages et les barbares ; de grandes armées, instrumens de l’harmonie unitaire, reboisent les montagnes, percent les isthmes ; fertilisent les déserts, commandent au cours des fleuves, transforment les climats. L’homme le plus pauvre, mieux logé, mieux nourri que nos rois, jouit de tous ses droits, « chasse, pêche, cueillette, pâture ; on a libre essor des sens, libre essor des ames, participation au progrès, ligue intérieure, insouciance, vol extérieur, liberté convergente, minimum abondant. » L’ordre combiné présente « le lustre des sciences et des arts, le spectacle de la chevalerie errante, la gastronomie combinée en sens politique, en sens matériel, en sens passionné ; la politique galante pour la levée des armées. » Il n’y a plus dans le globe qu’une seule monnaie, une seule langue. Une notation unique a fixé tous les caractères. Les sentimens sont notés, classés, mesurés, traduits dans les notes de la musique. Plus de mariages mal assortis, plus d’amitiés factices ; les hommes qui ne se sont jamais vus n’ont qu’à montrer leur partition ; si les accords se conviennent, la mélodie est immédiate, et ils s’embrassent avec l’effusion d’anciennes connaissances.

La liberté de l’amour est la première condition du bonheur pour quiconque se place en dehors de la société. Jacob Boehm rêve les jeux éternels de l’amour dans une nature purifiée ; Charles Fourier est un peu moins détaché de la terre. Il veut à la fois les bénéfices du mariage et ceux de la communauté ; il invente la double polygamie, il donne aux femmes des favoris, des maris, des géniteurs, à tous des bacchans et des bacchantes, à ceux qui chérissent leur propre virginité, le corps des vestales et des vestels. Les plus bizarres possibilités de l’amour se réalisent dans une série de combinaisons