Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

burlesques. Fourier console les amans déçus avec des faquiresses et des bacchantes, c’est ce qu’il appelle la purgation des passions[1]. L’essor libre de l’amour multiplie l’attraction de l’industrie, resserre les groupes, intrigue les séries ; l’amour s’alliant au travail, le travail à la volupté, les sybarites du phalanstère se lèveront à quatre heures du matin pour travailler comme des nègres : en harmonie « celui qui aura le plus joui de la vie et se sera livré aux passions les plus immodérées sera le plus sage, le plus saint, le plus grand. » Tous les souvenirs de l’antiquité, du moyen-âge, les rêves de la mythologie et de la chevalerie, les détails les plus bizarres de la guerre, de la cuisine, en traversant l’imagination de Fourier, grandissent et se renversent pour parodier le christianisme au rebours. On livre des combats babyloniens en pâtisserie, mille génies culinaires viennent conquérir les peuples avec des soupes au fromage : la musique mondiale fixe, réalise et maintient toutes les possibilités de la vie phalanstérienne.

Vaincu dans la civilisation, le génie du mal n’est pas encore terrassé, il se révolte contre la théorie de Fourier. Le bonheur détruit le bonheur, car la population se multiplie, et la misère doit reparaître au sein de la richesse ; heureusement cette population multipliée finira par atteindre un chiffre invariable, elle ne débordera pas au-delà des quatre millions de phalanstères, car les femmes riches et vigoureuses ont peu d’enfans. Le génie du mal doit se révolter alors de nouveau et opposer à Fourier les glaces des pôles, les feux de l’équateur, l’obscurité de la nuit, les maladies, la mort. Ici tout semble perdu ; mais Fourier s’élève de nouveau aux régions de la musique mondiale, et l’enchantement redouble. Par analogie, il avait donné aux astres la vie de l’homme ; par analogie, les astres imposaient à l’homme l’ordre qui règne dans le firmament : l’harmonie sortait d’une série d’actions et de réactions de la terre au ciel. Maintenant il faut doubler l’action et la réaction : Fourier entre donc dans le règne aromal, le règne des fluides impondérables, innombrables, inconnus. D’après lui, c’est dans ce royaume invisible que se préparent tous les enchantemens du monde visible : là, cette musique qui gouverne les globes, l’organisme, l’animalité et les passions, se répète une cinquième fois, y produit un cinquième mouvement, en réalité le plus puissant. L’œil de l’homme ne saisit que des effets, il ne voit que des arbres, des fleurs, des animaux, qui naissent et vivent par enchantement ; il ne voit pas que Vénus crée la chèvre, Mercure la pêche, que toutes les productions de la terre

  1. Il y a dans cette partie du système des détails qu’on nous saura gré de supprimer. La sollicitude de Fourier pour la béatitude sensuelle évoque au profit du plaisir toutes les possibilités que les casuistes proscrivent au nom de la morale. Notre rêveur a pensé même aux femmes âgées. La Gazette des Tribunaux avait parlé d’un jeune Champenois accusé d’avoir violé sept vieilles femmes, et sur cette possibilité Fourier fonde le hideux roman d’Urgèle et de Valère. Mêmes aménités pour les vieillards, à qui semble dédié le roman de la belle Orythie, la prostituée heureuse, riche, dévouée gratuitement à la vieillesse, la régénératrice, dit Fourier, des saines doctrines du commerce.