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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/408

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qui doit nous faire descendre, par les mêmes lois prises au rebours, jusqu’à notre premier point de départ, pour recommencer le cercle éternel de la vie. Tel est le grand jour du monde industriel, le kalpa de Fourier.

Ce système n’est-il pas une dernière apparition de la mystagogie orientale ? Ces chiffres 3, 4, 7, 12, 72, etc., multipliés, variés de mille manières dans l’harmonie et dans l’antithèse de la civilisation, répètent dans une assonance mystérieuse les vingt-huit années de la vie d’Osiris, le nombre des complices de Typhon, des traducteurs de la Bible, des disciples, des apôtres de Confucius, de Bouddha, du Christ, et tous les rhythmes traditionnels qui ont déterminé la poésie de la religion dans les temples de l’Orient et du moyen-âge. Fourier n’est pas un mystique passif, ce n’est pas un visionnaire ; le don de la croyance traditionnelle lui est refusé, le don de la seconde vue prophétique n’illumine jamais son intelligence. Fourier est un mystagogue, un thaumaturge qui ne s’est pas humilié devant le christianisme ; il est le dernier magicien, il imite ces grands-prêtres de l’Orient qui arrêtaient le soleil, ces artistes du monde païen qui se posaient en maîtres du monde matériel. Seulement, la magie a cette fois multiplié ses forces ; Fourier joue avec Dieu, il joue à une martingale effrayante, il gagne des myriades de mondes, et il double toujours.


III. – FOURIER MAGICIEN

Nous venons d’expliquer les procédés secrets du fouriérisme : il nous reste maintenant à découvrir la route que Fourier a parcourue au rebours pour nous transporter vers le moyen-âge et l’antiquité païenne.

Né en 1772, Fourier appartient au XVIIIe siècle ; il lui doit son érudition, ses tendances, la morale du plaisir et cette confiance illimitée dans la puissance de l’industrie : en d’autres termes, Fourier marchait avec les encyclopédistes à la conquête du monde sensible. Jadis, dans les premiers temps du christianisme, on avait découvert un Dieu infini, et, dans l’enthousiasme de la découverte, l’humanité avait sacrifié le temps à l’éternité, la matière à l’esprit, le monde à Dieu. Le moyen-âge méprise la terre, se méfie de la raison ; l’église ne veut pas être de ce monde, et les hommes l’imitent ; ils sacrifient aux pieds du successeur de saint Pierre les biens comme les idées. Le sacrifice une fois accompli, quand cette œuvre d’abnégation fut poussée à ses dernières limites, on recula d’épouvante : l’église, qui était le symbole de tous les sacrifices, la papauté, dont l’unique mission était d’éclairer l’intelligence et de faire l’éducation du genre humain, avaient exploité la crédulité universelle pour réprimer la raison, confisquer à leur profit tous les biens de ce monde, et fonder un empire matériel sur la terre. Dès-lors le mouvement fut interverti, la révolution commença dans le sens opposé, l’humanité voulut s’élever jusqu’à Dieu sans l’intermédiaire du prêtre : Luther arracha à la papauté le nord de l’Europe, les états catholiques s’émancipèrent