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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/41

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peu communs ; il parlait avec facilité, et des citations de la Bible revenaient à tout propos dans ses discours, moyen d’influence qui ne pouvait pas manquer son effet sur des esprits simples et dans un pays protestant. Dans ses harangues aux paysans, cet illuminé leur promettait de vastes domaines, et, pour donner plus d’autorité à ses promesses, il prétendait tantôt être le baron Rothschild, le comte de Devon, ou le roi de Jérusalem, et tantôt disposer d’un grand crédit à la cour, à ce point qu’on le verrait, le jour du couronnement, assis à la droite de la reine. Enfin, l’enthousiasme de la foule ayant ajouté à son audace, il se présenta comme étant le Christ lui-même ; à ceux qui en doutaient, il montrait mystérieusement les cicatrices laissées sur ses mains par les clous qui l’avaient attaché à la croix. Une figure naturellement noble et sa barbe, qu’il taillait à l’image du Christ, aidaient à l’imposture ; pour achever de séduire ses partisans, il les oignait, sous prétexte de les rendre invulnérables, et l’argent qu’il puisait dans toutes les bourses était répandu sans réserve en libéralités : le fanatisme s’était ainsi fortifié de toutes les ressources de l’admiration.

Mais le pouvoir de fascination dont Courtenay paraît avoir été doué ne rend pas complètement raison de l’étrange facilité avec laquelle une population vouée au travail et soumise aux lois passa, en quelques jours et presque sans s’en douter, de l’obéissance à la révolte. Un changement aussi radical et aussi soudain ne s’explique pas indépendamment des conditions particulières dans lesquelles se meut la société. Les troubles du comté de Kent appelaient une enquête ; le gouvernement ne songea pas à la faire, ni les chambres à la provoquer.. La première impression de surprise une fois amortie, l’opinion publique se détourna de ce spectacle, qui ne pouvait que l’importuner à l’approche des pompes et des réjouissances du couronnement. Le parlement demanda des explications pour la forme ; il voulut connaître les motifs qui avaient amené l’élargissement de Courtenay avant l’expiration de sa peine, comme si l’ordre et le repos du pays dépendaient de la vigilance avec laquelle les maisons de fous étaient gardées. Cependant quels étaient les hommes que le maniaque traînait à sa suite ? Sur quoi portaient leurs plaintes, et à quelle fin aspirait leur ambition ? Sur tout cela, pas une conversation ne fut échangée. La presse elle-même ne se montra ni plus intelligente ni plus curieuse ; les journaux de Londres se bornèrent à signaler ce qu’il y avait d’imprévu dans ces. évènemens « qui avaient, disaient-ils, éclaté comme une bombe ; mais ils n’eurent garde de rechercher d’où la bombe était partie.