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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/42

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Une réunion d’économistes et de philanthropes, la Société centrale d’éducation, osa seule penser que la parole de Courtenay n’avait été que l’étincelle qui tombe sur une traînée de poudre, et que la cause réelle du désordre devait se trouver dans l’état social des paysans qui avaient combattu pour la divinité du faux messie. Un de ses membres, M. Liardet, envoyé sur les lieux avant que le souvenir de ces évènemens se fût refroidi, a publié un rapport qui donne la clé de l’énigme[1]. Il suffit de grouper, en y joignant les inductions qui en dérivent, les faits qui ont été recueillis dans ce remarquable travail.

La misère semble n’avoir eu aucune part aux troubles du comté de Kent. Le lieu de la scène est un de ces paysages qui n’appartiennent qu’à l’Angleterre : des collines à pente douce que séparent de riantes vallées, de vastes et grasses prairies dans les bas-fonds, et plus haut des jardins, des vergers, des champs de blé ou de houblon, l’agriculture dans toute sa magnificence et la nature dans toute sa beauté. Sur une terre aussi fertile, la population doit vivre dans l’aisance : les laboureurs gagnent de 15 à 18 francs par semaine ; les femmes, 7 francs 50 cent. ; un enfant de treize ans, de 3 francs 75 cent. à 5 francs. Chaque famille a sa chaumière et son jardin, jardin cultivé avec un soin infini, chaumière divisée souvent en quatre chambres, de manière à développer également la santé du corps et les bonnes mœurs. Le mobilier a un air de propreté qui charme ; outre les tables bien polies, des armoires garnies de linge et une batterie de cuisine luisante, on voit dans chaque maison une énorme pendule qui annonce que les maîtres du logis connaissent le prix du temps aussi bien que le commis le plus affairé de la Cité. Les femmes savent généralement coudre et blanchir ; quelques-unes sont capables de faire leur beurre et de pétrir leur pain. Toute chaumière a une étable qui renferme une vache ou un cochon ; en un mot, la condition de ces paysans est bien supérieure à la moyenne des principaux comtés.

Parmi ceux qui prirent part à l’émeute du 28 mai, un seul passait pour être d’une probité suspecte, et quatre seulement recevaient des secours de leur paroisse. Tous les autres étaient des hommes d’un âge mûr et d’un caractère irréprochable, qui vivaient sans peine du travail de leurs bras ou qui cultivaient le sol en qualité de fermiers. La population de ces hameaux se distingue encore par une sobriété assez rare dans la Grande-Bretagne ; les villages éloignés des grandes routes n’ont pas un seul cabaret.

  1. Report on the state of the Peasantry, at Boughton, Herne-Hill, etc.