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fut publique, officielle, tyrannique, elle succomba ; le christianisme domina la révolution : la nature parut hideuse sans Dieu, la raison ironique sans le Christ, la société impossible sans traditions. L’homme, dont on voulait faire un instrument, se révolta contre les réformateurs. Que faire ? Les politiques furent convertis par la force des intérêts, les philosophes par la force des idées, et ils virent que le christianisme n’avait pas été compris. Quant à Fourier, il se déclara contre la révolution, contre la science elle-même.

Victime en 1793 de la terreur, Fourier avait conçu une haine implacable contre les gouvernemens révolutionnaires ; mais peu importent la date, les évènemens, peu importent les sentimens personnels de Fourier, pourvu que dans sa haine il reste d’accord avec les instincts de son temps. La première condition dans un pareil combat est qu’on ne tienne aucun compte des idées, de la religion et des forces de la raison. Qu’on parcoure les livres de Fourier, partout cette condition est remplie. On n’y trouve pas un mot sur l’intelligence de l’homme : chose étrange ! Fourier a pensé toute sa vie sans se demander une seule fois d’où lui venaient ses idées. Il se représente l’homme comme une machine passionnelle, sa psychologie commence avec les sens, finit avec la composite, et ne suppose pas comme possible l’intervention de la raison dans la solution du problème du bonheur. Bref, il veut brûler les quatre cent mille volumes de nos bibliothèques ; Condillac n’échappe pas au bûcher. Tout était donc à refaire ; il fallait recommencer la révolution. Fourier répéta alors contre la révolution le programme révolutionnaire ; il exagéra le doute de Descartes, l’acatalepsie de Bacon, la nécessité de refaire l’entendement, la nécessité de sortir de l’ornière révolutionnaire, la nécessité de se délivrer de toutes les idées politiques, morales, religieuses et économiques. Que voulait Fourier ? La rédemption ; il voulait nous transporter au ciel en remplaçant le christianisme, et il fallait que le bonheur absolu, éternel, pût jaillir de la vie et du plaisir, de la matière et du mouvement. Avec la science descriptive, on ne pouvait guère avancer ; les moyens rassemblés dans l’Encylopédie ne donnaient que la civilisation telle qu’elle est. Fourier rejette donc toutes les limites de la science descriptive ; il se propose de pénétrer dans la textura rerum, dans l’essence intime des choses ; il s’efforce de deviner la vie, il invoque le nombre, il croit arriver ainsi à la rédemption terrestre, et il se place à son insu au milieu des hommes du moyen-âge.

Le moyen-âge avait eu son naturalisme, la magie, l’alchimie, l’astrologie, les sciences occultes. Tout n’avait pas cédé à la philosophie chrétienne ; on résistait à l’idée d’un Dieu infini et d’une patrie spirituelle, et la nécromancie intervertissait les lois du christianisme en cherchant à réaliser le ciel sur la terre. La poésie du XIIIe siècle nous présente sans cesse le chevalier entre l’ermite et le nécromant, entre la croisade en terre sainte et les féeries d’un monde enchanté. Cette croyance à la féerie, profondément enracinée dans l’imagination populaire, avait été prise à la lettre par les physiciens du moyen-âge. Tandis que la philosophie chrétienne se développait dans la scolastique,