la physique travaillait sourdement à réaliser les féeries des épopées chevaleresques. Elle cherchait les panacées, la transformation des métaux, les breuvages qui éternisent la vie, qui enchaînent l’amour. Qu’on ouvre Roger Bacon lui-même : il parlera de renouveler les prodiges de Gédéon, d’incendier les villes par la création d’un soleil artificiel ; d’autres veulent donner la richesse aux pauvres, à tous les hommes la vertu adamitique ; d’autres vivent dans la persuasion qu’un secret, une découverte, suffiraient à délivrer la nature de l’enchantement satanique qui l’étouffe. Tous s’orientent au milieu des phénomènes de l’instinct, des sympathies, des fluides, de la musique ; tous veulent toucher à l’arbre de la vie. Les sciences, à leurs yeux, ne sont que d’ignorantes compilations des signes extérieurs ; les arts, des tentatives empiriques sur des signes incompris. Les physiciens du moyen-âge aspiraient à la véritable interprétation de la terre et du ciel, de la nature et de la Bible, et ils rêvaient un grand art fondé sur la science de Salomon. Que cette science, que cet art fussent possibles, ils n’en doutaient pas : n’avaient-ils pas derrière eux mille prodiges, mille traditions remplies de miracles ? Pour ces artistes, l’histoire de Moïse, de Trisnmégiste, de Jésus-Christ, d’Apollonius, de Salomon, d’Orphée, des mages, équivalait à une démonstration scientifique. Ils croyaient si bien usurper la puissance des thaumaturges, qu’ils imposaient le secret aux adeptes ; ils exigeaient d’eux la vertu chrétienne pour que le magicien ne se jouât pas de la vie des hommes. La papauté était donc le grand œuvre de la science officielle ; la transfiguration du monde était le grand œuvre du naturalisme. Postel, dans son délire, voit poindre l’aurore d’un nouveau jour cosmogonique ; Boehm, plus tard, annonce l’aurore naissante ; Paracelse s’était proclamé le roi des mystères (arcanorum monarcha), le roi des temps intermédiaires, en attendant le renouvellement du monde. Les frères de la Rose-Croix, Robert Fludd, s’attendaient, vers 1610, à la transfiguration universelle, et poursuivaient le but de Paracelse. Cette idée d’une panacée, d’un saint Graal, avait gagné au moyen-âge jusqu’à la scolastique ; les claves magnae, les logiques de ce temps, avaient des prétentions presque magiques ; le grand art de Raymond Lulle, en tenant ses promesses, aurait distribué les dons du Saint-Esprit à tous les hommes. François Bacon lui-même tombe dans l’erreur ; le Novum Organum est la panacée qui promet aux esprits vulgaires la puissance du génie.
Le naturalisme du moyen-âge expire aux pieds de François Bacon. Deux siècles plus tard, Fourier s’empare du Novum Organum, et entre ses mains, par une bizarre interversion, cette préface des temps modernes devient la préface du moyen-âge. Bacon établit la possibilité de mille découvertes descriptives, et il fonde là-dessus un grand art industriel. Fourier accepte les possibilités signalées par Bacon, et il en déduit une science magique sur laquelle il fonde le grand art du phalanstère. Si la science occulte chez Fourier prend une forme nouvelle, celle de l’industrie, il ne faut pas oublier que la forme ne compte pas dans cette poésie flottante des mystagogies. Ce sont les principes et les procédés qui comptent. Le langage des fleurs, la