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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/417

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par la seule force de l’attrait. — Au reste, pour secouer le parti républicain insensible aux charmes de l’industrie attrayante, on empruntait les armes du parti conservateur, sauf à combattre ensuite les conservateurs avec les armes du parti républicain.

Cette propagande produisit sur la presse un effet irrésistible, mais fort imprévu ; le magicien, sorti enfin de son obscurité, fut accueilli par des éclats rire, et la fantasmagorie du phalanstère redoubla l’hilarité universelle. On devine l’exaspération des initiés ; ils ne comprirent pas qu’on se moquât du rédempteur des civilisés. Pour parer au scandale, il fut résolu au sein de la petite congrégation de monter à l’abordage de tous les organes de la presse civilisée, de les couvrir de honte et d’y introduire de vive force les lois de la véritable sagesse. Les initiés se lancèrent dans toutes les directions et présentèrent des analyses du système à tous les journaux ; quand on refusait d’insérer leurs articles, le Phalanstère dénonçait les coupables ; quand on les acceptait, le Phalanstère ne se possédait plus de joie. Les initiés s’attendaient à la catastrophe de la civilisation. Un obstacle se présenta bientôt : la tolérance la plus débonnaire ne pouvait laisser passer les bacchans et les bacchantes, malgré le cortége des vestales et des vestels ; les initiés avaient eu beau multiplier leurs efforts, ils restaient sous le coup d’une accusation d’immoralité trop bien fondée ; pour gagner du temps, ils imaginèrent d’ajourner indéfiniment la rédemption de l’animalité. Pour le moment, les accords en majeure devaient seuls fonctionner ; la mineure de l’adultère était réservée à des temps meilleurs. Nouvelle modification, nouvelle concession à la faiblesse des civilisés ; malheureusement, en moralisant le phalanstère, on le détruisait. N’oubliait-on pas qu’il fallait proscrire la morale subversive civilisés ? Que devenait la rédemption du magicien, si on admettait cette monstreuse invention du devoir ?

Les anti-requins et la poste aux lions, avec l’entourage des lunes et des aurores boréales, étaient un vrai crève-cœur pour les sages du phalanstère. Ils n’y croyaient pas beaucoup, et les épigrammes tombaient comme la grêle sur le petit groupe des initiés. Les sages criaient à l’ignorance, à la calomnie, à l’imposture ; enfin ils déclaraient, de guerre lasse, que la cosmosgonie de Fourier était une sorte de poésie, un simple ornement du système. Nouvelle concession à la faiblesse des humains, nouvelle imprudence qui compromettait la véritable sagesse. La rédemption morale du magicien s’expliquait et s’excusait par la transfiguration du monde physique : on conçoit qu’il n’y ait ni gêne morale, ni abnégation, ni sacrifice en paradis. Comme admettre l’essor des passions sans accueillir les anti-requins ? Pour rester fidèles à la parole du maître, en contentant leur propre incrédulité, les initiés imaginèrent un curieux expédient : ils ajournèrent à la fin du monde la complète vérification du système.

Les initiés ne cessaient pas de réclamer la fondation du phalanstère ; ils espéraient ainsi dessiller une fois pour toutes les yeux des civilisés. Toutes les questions du jour étaient traitées au point de vue fouriériste. On montrait