Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les avantages de l’industrie attrayante : le roi, les chambres, les partis, les démocrates, les conservateurs, avaient besoin du travail instinctif ; le phalanstère était la panacée universelle, la seule voie de salut pour les pauvres et pour les riches. MM. Considérant, Abel Transon, Jules Lechevalier, faisaient des cours, voyageaient pour recruter des adeptes ; on multipliait les appels aux capitalistes pour ramasser le monceau d’or qui devait attirer tous les trésors. A la fin, on entraîna MM. Dulary et Devay, l’un député, l’autre médecin, tous deux propriétaires à Condé-sur-Vesgre, et un moment on se crut sur le point d’assister au spectacle de l’industrie attrayante. Suivant Fourier, le phalanstère devait gagner, rien que sur les spectateurs, 50 millions en deux ans ; la dernière heure de la civilisation allait sonner. Là encore la doctrine de Fourier subissait, au contact des idées révolutionnaires, une dernière transformation. Nous avons vu que cette doctrine repose sur deux sortes de preuves, les unes expérimentales, les autres magiques. L’expérience montre la possibilité, le nombre la réalise. Les disciples de Fourier, recrutés tous sur le terrain des sciences positives, étaient incapables pour la plupart aussitôt qu’ils sortaient de leur spécialité. En discutant les extrêmes possibilités du radicalisme, ils avaient accepté le phalanstère comme le pan-démonium des plus heureuses possibilités démocratiques. Surpris, enveloppés par les preuves extérieures, ils étaient tombés au pouvoir du magicien sans croire à la magie. Il en résulta que l’on prit la conséquence, et on oublia le principe ; on prit l’enchantement de l’industrie attrayante, et on supprima le nombre qui le crée, la musique qui le démontre. Les disciples, en hommes positifs, se rapprochaient du sens commun, mais ils tombaient dans la plus grossière des contradictions ; ce n’étaient pas même des disciples, c’étaient des croyans égarés qui prenaient la rédemption du phalanstère pour un progrès démocratique.

L’immense distance qui séparait le maître des disciples ne tarda pas à se révéler dans le journal même. Le magicien devenu journaliste écrivait à côté des siens ; les disciples l’appelaient le révélateur, le démiourgos du monde sociétaire, l'architecte du bonheur sur la terre. Jamais pourtant un mot de sympathie, d’éloge, d’encouragement du maître aux disciples ; il les fascine, et il garde le secret de la fascination. Quelquefois les adeptes se laissent gagner au sens commun ; alors le magicien les réprimande, les appelle les disciples aventureux, les met dans l’alternative de rejeter ou d’accepter tout son système. Les fouriéristes parlent en hommes de parti, ils donnent un faux air raisonnable au fouriérisme. Le magicien marche isolé, il a le don des miracles, il ne prend la parole que pour opérer des enchantemens. D’un seul coup, il annonce l’abolition des droits réunis, l’affranchissement des nègres, l’extirpation de l’indigence, l’émancipation des hommes, des femmes et des enfans ; il assure une fortune subite aux savans et aux artistes ; il délivre les rois des terreurs de l’émeute, etc. Que les journalistes propagent son système, ils deviendront les médiateurs des peuples et des rois, et toutes les phalanges du globe se réuniront pour leur assurer 500,000 francs de revenu.