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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/43

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Ainsi, la misère et la débauche, ces alimens naturels de tout désordre, n’ont été pour rien dans les scènes de Boughton. M. Liardet en voit la cause principale dans l’ignorance habituelle des populations rurales, ignorance qui lui parait plus entière là qu’ailleurs. A l’appui de son opinion, il rappelle que, sur quarante chaumières examinées par lui à Dunkirk, il y en avait vingt qui ne renfermaient pas un livre, et que, dans les autres, la Bible était le seul livre qui s’offrît aux regards des visiteurs. A Herne-Hill, bien peu d’habitans étaient en état de signer leur nom, et ceux qui savaient lire ne lisaient que les premières pages du Nouveau Testament.

L’ignorance n’est pas moins grande dans les campagnes de la France ; je doute cependant qu’un imposteur ou un illuminé, en déployant des séductions égales à celle de Courtenay, parvînt à y éveiller le même fanatisme. En général, les révolutions politiques commencent dans les villes, et les révolutions religieuses dans les campagnes ; les peuples les plus fanatiques ont été les peuples pasteurs. Mais nos paysans ont vu le monde, et le mélange continuel des classes dans la société française rend leur esprit moins accessible aux illusions ou aux préjugés ; il en est tout autrement en Angleterre. Voici la peinture que fait M. Liardet de l’état social dans la paroisse de Herne-Hill.


« Le village renferme quatre-vingt-huit familles qui donnent une population de quatre cent soixante-dix individus. Le vicaire est le seul homme comme il faut (gentleman) qui réside dans la paroisse ; il n’y a ni médecin, ni pharmacien, ni boutique d’aucune espèce. La terre est distribuée en fermes, depuis soixante jusqu’à cent cinquante acres d’étendue. Les fermiers, qui ont une existence grossière et qui ont reçu une instruction purement agricole, ne sont pas en état, quand ils en auraient la volonté, de contribuer à la réforme morale du peuple. Le principal d’entre eux et le seul qui prenne quelque intérêt à ces questions, n’a lui-même que l’éducation que l’on donnait, il y a quarante ans, aux classes laborieuses dans les districts ruraux. C’est néanmoins un personnage très méritant, qui, à force d’industrie, de persévérance, d’économie, et par une bonne conduite dont il ne dévia jamais, s’est élevé de l’humble condition de journalier à la position honorable qu’il occupe aujourd’hui. Tout le fardeau des intérêts séculiers de la paroisse retombe sur ses épaules : il est marguillier, gardien des pauvres, commissaire chargé de veiller à l’entretien des routes, et il remplit ces fonctions, non-seulement pour le village de Herne-Hill, mais aussi pour celui de Dunkirk, qui est encore plus considérable et qui renferme sept cents habitans. »


Ne cherchons pas ailleurs la véritable cause des troubles : elle est dans cet isolement social. Voilà deux villages et douze cents habitans,