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homme qui se serait présenté à Auguste avec les découvertes du monde moderne. Les civilisés, disait-il, ont retardé toutes les découvertes, éconduit, tourmenté tous les inventeurs ; qu’ils refusent donc le million du phalanstère. Habent oculos et non videbunt.

Vers la fin de 1834, le journal tomba en agonie ; on désespéra d’organiser la colonie de Condé-sur-Vesgre. Pendant quelque temps, Fourier resta presque seul à la Réforme industrielle. Il n’en fut que plus libre et plus grand, il se surpassa lui-même. Les trois mille candidats du phalanstère se présentaient sans cesse à son imagination, il continua de les interpeller nominativement ; il distribuait des royaumes imaginaires et conviait les rois, les grands, les capitalistes, aux miracles de l’industrie attrayante. Tandis que les avantages grandissaient, l’épreuve était mise au rabais. Fourier proposait une épreuve minime en travaux à courtes séances appliquée à cent soixante enfans de trois à douze ans. « Ne pourrait-on pas, disait-il, aujourd’hui obtenir d’une réunion d’enfans plus de prodiges que de tous les aréopages scientifiques ? Revenons donc aux enfans pour dessiller les yeux des pères et leur présenter la planche de salut, l’industrie attrayante en courtes séances. Voir en petit, essayer en petit, tel est le goût dominant des Français ; ils n’aiment que les extrêmes, le très petit en essai et le gigantesque en duperie. Prenons donc le monde comme il est, donnons donc aux Français le plan d’un très petit essai sur de petits enfans en cultivant un petit terrain avec un petit capital et un petit mobilier industriel. C’est, je l’espère, assez de petitesse pour me mettre au niveau de la ci-devant grande nation qui a conquis tant d’empires et n’a jamais su conquérir le sien, réunir cette France dont sept millions et demi d’habitans sont encore au pouvoir de l’ennemi sur le continent… Fulton aurait dû construire ou proposer seulement une petite chaloupe mignonne qui aurait démontré en petit le pouvoir de la vapeur, et sa nacelle aurait conduit de Paris à Saint-Cloud, sans voiles ni rameurs, ni chevaux, une demi-douzaine de nymphes qui, au retour de Saint-Cloud, auraient ébruité le prodige et mis tout le beau monde parisien en émoi. »

Rien n’égale le mépris du magicien pour la France, pour ces petits Français, le peuple vandale, « le plus mal gouverné de l’Europe, le plus dévoré par les sangsues, le plus inepte en politique extérieure, le plus prodigue du sang des soldats, le plus dupe en dénouemens de guerre, en traités et en alliances, le plus favorable aux charlatans et aux agitateurs philosophiques, le plus hostile envers les inventeurs, etc. » Que l’Angleterre vienne donc enlever le grand inventeur à ces petits Français, qu’elle fonde le phalanstère, qu’elle laisse à la France son initiative de vandale pour prendre l’initiative de la libération du globe. L’argent manque, on ne peut fonder la colonie de Condé-sur-Vesgre, le magicien se voit écrasé par l’incurie et la méchanceté des civilisés. Le souvenir de l’empereur qui perd son trône à Waterloo se présente alors à son esprit ; mais point de malheur qui ait le droit de fraterniser avec lui. « Bonaparte, dit-il, a perdu son trône par un acte de