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besoin de médisance, la calomnie qui accouple le phalanstère au saint-simonisme, le faux libéralisme, les paniques du gouvernement. Le magicien classe sous vingt-huit catégories tous ses adversaires, il jette en quelques lignes le plan d’un ouvrage contre cette armée qui l’enveloppe ; puis, toujours à propos du puff américain, il démontre l’anarchie de la presse ; pourquoi n’y a-t-il point de gendarmes qui arrêtent une fausse nouvelle sur la route ? Faute de surveillance, le monde scientifique est exposé à toutes les supercheries. Heureusement les planètes vivent, elles organisent nos fleurs, nos animaux ; en même temps, elles nous enseignent le phalanstère, elles critiquent notre faux savoir. Vénus crée sur la terre la mûre des ronces, symbole de la morale, et la framboise remplie de vers, symbole de la contre-morale prêchée dans les théâtres ; ce sont les planètes vivantes, et non pas la lune, satellite cadavérisé qu’il faut étudier d’après le magicien, et, dans son sommeil magnétique, il voit la fausse sagesse anéantie s’évanouir comme la fumée devant une découverte astronomique. Il voit le mégasco-télescope révélant le règne de l’harmonie dans Jupiter ; la nouvelle arrive aux Tuileries, le roi convoque les philosophes. « Je vous ai rendu, dit-il, vos trente fauteuils que vous avaient ôtés Napoléon et Louis XVIII ; en remerciement, vous me cachez l’invention dont j’avais besoin plus qu’aucun souverain. Voyez le bonheur réalisé dans cet astre. — Sire, on ne se serait pas douté de cela, le divin Platon et le divin Sénèque n’en avaient rien dit, on ne pouvait deviner. — On le pouvait si bien qu’un homme vous a donné en grand détail le calcul de la mécanique sociétaire des passions, et vous lui avez adressé un torrent d’injures. — Sire, ce sont quelques journalistes, des écrivains qui ont besoin de gagner 100 francs pour un feuilleton. — Eh bien ! ces zoïles à 100 francs pièce sont maîtres de l’opinion. — Sire, on a obtenu une nouvelle loi sur la presse. — Elle est si mauvaise, que les zoïles redoublent de vandalisme ; depuis cette loi, on a dénigré la plus belle invention de Fourier, la mécanique des passions. — Que voulez-vous, sire, qu’on en dise ? cet homme veut créer la bête de l’apocalypse. — En êtes-vous bien sûrs ? Pouvez-vous montrer cette annonce imprimée par lui ? — Non, mais nous avons lu dans une gazette qu’on a dit qu’on a ouï-dire qu’il a dit ça… » Là-dessus le roi en colère prend à l’instant même des mesures pour que l’essai soit fait avec 1 million à prélever sur les 3,300,000 francs de la succession Brezin. Et dès-lors on entre en harmonie.

Voilà, en peu de mots, l’homme tout entier. Chaque page de la Fausse Industrie indique la même exaltation cérébrale, le même renversement de toutes les idées, la même folie lucide, détaillée, précise, arithmétique ; c’est un travail de condensation qui épouvante ; on est saisi de terreur devant cette hideuse identification du génie et de la folie. — Cependant, au moment même où le délire de Fourier atteignait son paroxisme, l’école entrait dans une voie qui devait rapidement l’éloigner du maître. A la période d’enthousiasme et de rêverie allait succéder l’ère des expédiens et des transactions.