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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/423

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V. – SECONDE PHASE. – LES INITIES ET LES PROFANES. – LA PHALANGE.

Le cénacle des initiés éprouva de poignantes angoisses quand la Réforme industrielle eut cessé de paraître. Long-temps on dissimula l’échec, on affirma que l’école grandissait ; mais, entre eux, les initiés durent s’avouer que les cours, les leçons, la propagande, n’avaient abouti qu’à compromettre les sages aux yeux des simples civilisés. Le chef même de l’école, M. Lechevalier, après avoir tenté un dernier essai dans la Revue du Progrès social, avait commis le péché de civilisation ; M. Abel Transon, l’un des initiés les plus vénérables, désertait à son tour pour passer à ce contre pivot du fouriérisme que les civilisés appellent l’ultra-catholicisme. Tout était à refaire, on était encore comme au commencement des choses, et les initiés, réunis autour du magicien, délibérèrent de nouveau comment on pourrait enlever le monde aux civilisés. Les uns proposèrent d’agir dans l’ombre, de se glisser dans les journaux, de passer des journaux au pouvoir, et là, par un coup d’état, d’installer l’industrie attrayante dans le gouvernement. Le magicien et la majorité se méfièrent de ce plan ; les initiés, livrés à eux-mêmes, auraient pu se civiliser ; on se décida pour une guerre ouverte. L’église phalanstérienne fut réorganisée ; on fonda un centre-directeur, l’effort dura deux ans ; enfin, en 1836, la véritable sagesse triompha, et la Réforme industrielle parut sous le nouveau titre de la Phalange. La direction de la nouvelle église fut confiée à un adepte, M. Victor Considérant, très affermi dans les croyances phalanstériennes.

Depuis 1824, M. Victor Considérant avait été saisi de la monomanie du groupe et de la série. Officier distingué dans le corps du génie, il abandonne la carrière militaire, offre sa démission, se dévoue à l’avenir harmonien, et personne, nous nous plaisons à le reconnaître, vers 1834, ne savait mieux que lui faire la différence d’un anti-requin et d’une anti-baleine. Cette exubérance d’érudition fouriériste déborde dans le livre de la Destinée sociale. M. Considérant excelle à montrer la fougue enthousiasme de l’accord, l’acharnement rivalisé du distord, les groupes engrenés, rivalisés, conjugués ; tous les fourneaux du phalanstère fonctionnent avec fureur, les temps gastrosophiques approchent ; le livre est imprégné de parfums culinaires, il y a même un peu de musique. Le bonheur se propage par explosion, et on épargne 1,285,000 francs dans le décrottage des bottes. L’ouvrage est dédié au roi. M. Considérant imitait Fourier en tous points, il maniait à merveille les pivots, les contre-pivots ; il torturait la langue, il couchait, il renversait les lettres alphabétiques ; ses écrits, pour me servir de son style, étaient assaisonnés avec force invectives abracadabrantes et supercoquentieuses c’était, en un mot, la vulgarité moins la poésie du magicien. Son idée de prédilection, sa métaphysique, sa sagesse, étaient de racheter le monde de l’esclavage des idées, de la tyrannie du devoir, de la loi du sacrifice. Sans doute, disait-il, Jésus-Christ a bien fait de prêcher l’association universelle ;