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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/424

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mais il est tombé au-dessous de Moïse en prêchant l’abnégation. Il a voulu diminuer le mal avec la morale ; a-t-il réussi ? Nullement, le mal subsiste. Il faut donc revenir aux saines doctrines du paganisme, perfectionner le christianisme avec la religion du plaisir, porter l’essor des passions dans l’église universelle, et ici le magicien se présentait au néophyte comme le rédempteur du devoir appelé à nous délivrer de la fastidieuse contrainte de la vertu. Suivant lui, le fouriérisme n’était ni une secte, ni un système, ni une religion ; c’est la vérité pure, absolue, une science rigoureuse et mathématique.

L’échec de Condé-sur-Vesgre exaspéra le nouvel adamite ; il vomit un torrent d’injures contre les civilisés, il attaqua les conservateurs avec les démocrates, les démocrates avec les conservateurs, la religion avec la philosophie, la philosophie avec la religion : les sectes, les partis, les systèmes. les idées, tout était livré à l’exécration des sages. Un jour, il annonçait à l’Hôtel-de-Ville la rédemption du devoir ; l’autre jour, il annonçait aux simples civilisés qu’on assistait à la débâcle de la politique, à l’agonie de la civilisation. Il y avait un peu de scandale, et l’attention se réveillait. On conçoit le ravissement des initiés : M. Considérant devint le pivot du cénacle : on lui conféra la suprématie spirituelle.

Une fois investi de la direction suprême, M. Considérant, en qui l’exaltation phalanstérienne n’avait pas détruit un certain sens de la vie pratique. comprit qu’il y avait dans le monde le possible et l’impossible. Il voulut se rendre possible : il eut une tactique, des secrets ; il se comparait à un général d’armée qui ne peut livrer ses plans de bataille. Pour combattre, il fallait un journal ; le journal parut : pour gagner du terrain, il fallait se civiliser ; on baissa le ton, et M. Considérant insista sur la nécessité de ménager la lumière au faible entendement des civilisés. La Phalange fut destinée en grande partie à surprendre les profanes par l’exposition de quelques projets économiques qui devaient préparer les voies à la véritable sagesse. Soumis à l’ascendant du pontife, les initiés ressemblaient à une compagnie d’éclaireurs qui attendent le commandement du général. L’ébullition démocratique avait disparu ; M. Considérant avait séparé nettement le fouriérisme de la démocratie, alors compromettante.

Soit épuisement, soit prudence, peut-être par dédain, Fourier se tint à l’écart du nouveau journal ; il ne donna à la Phalange que quatre articles ce sont les derniers traits lancés contre le monde civilisé par le magicien qui se meurt. Fourier se moque du christianisme, de la morale de Fénelon, des philanthropes, et, voyant ses disciples prêts à transiger, il prédit un nouveau Virgile qui s’emparera de sa théorie, affectera de la combattre en partie la mettra au service de la morale, de la philosophie, et fera à merveille son chemin dans le monde. Comme on voit, le Virgile était né, il était à ses côtés c’était M. Victor Considérant.

Dans ses derniers jours, Fourier s’isola, s’exalta de plus en plus ; jamais il ne douta un instant de sa conception ; il voyait, il touchait son système ; à