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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/426

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sur le chemin du pouvoir. L’itinéraire était déjà fixé. Il était beau de voir la petite phalange se déchaîner furibonde contre M. Thiers. Les phalanstériens pouvaient attaquer la société, inspirer la haine contre la civilisation, rejeter tous les principes, enfanter de nouveau la société par l’essor des passions, créer des dignités par la force des vilains goûts, cela était légitime ; mais que M. Thiers osât considérer le traité Brunow comme une injure faite à la France, qu’il voulût fortifier Paris, risquer une réforme électorale, c’étaient là des actes subversifs, barbares, sanguinaires, anti-chrétiens. M. Thiers voulait renouveler les horreurs de l’empire, incendier l’Europe, s’emparer de la dictature de la France : il chargeait le pistolet de Darmès. Après les diatribes contre M. Thiers, empruntées aux conservateurs, venaient les pointes contre M. Guizot, empruntées aux démocrates ; puis l’attaque devint régulière, après que M. Thiers se fut retiré des affaires. La Phalange ne voulait pas de la résistance ; elle voulait le mouvement paisible, très paisible ; elle s’échauffait sur la nécessité de l’ordre et de la paix : par momens toutefois il lui prenait des quintes d’une toux révolutionnaire à couvrir les cris les plus aigus du communisme : non pas qu’elle provoquât à la guerre, à l’émeute, non certes, mais il fallait se bien garder de la pousser, car les initiés eux mêmes auraient pu mettre un pied dans la révolution. Au reste, la Phalange déclarait en toutes lettres qu’un gouvernement étant une garantie d’ordre, elle défendrait toujours à priori tout gouvernement établi, par cela même qu’il était établi ; elle ajoutait qu’elle le défendrait, fût-il légitimiste, contre les républicains ; fût-il républicain, contre les légitimistes. Révolutionnaires, contre-révolutionnaires, légitimistes, républicains ou juste-milieu, les nouveaux adamites avaient un système commode. Comment les attaquer ? Ils voulaient l’ordre, la liberté, l’association universelle, et le bonheur du genre humain.

Les sages ne parvenaient à concilier la résistance et le mouvement qu’en professant le plus souverain mépris pour les contradictions. S’agissait-il de la réforme électorale : les démocrates de toutes les nuances avaient tort. La réforme n’allége pas les chaînes au travail répugnant ; le peuple n’a pas d’idée organique, il n’est pas initié, il veut tyranniser ; il ne tient pas assez compte de la misère des riches : la réforme d’ailleurs ne multiplie pas les comestibles. Toutefois, les conservateurs qui repoussaient la réforme avaient tort comme les démocrates, et la Phalange proposait une manière de compter les voix qui aurait donné vingt fois gain de cause à cette opposition si abhorrée et si anarchique. S’agissait-il de la presse, la Phalange faisait en même temps l’apologie de la liberté de la pensée et des lois de septembre. Quant à l’Université, à en croire les fouriéristes, elle prêchait le régicide. « L’émeute et l’assassinat, disaient-ils, ne sont que la conclusion des prémisses posées par les hommes qui sont chargés de l’enseignement universitaire, et que la presse applique à la société contemporaine. — Si le roi ne peut sortir des Tuileries, la faute en est à la politique et à la philosophie. » Plus tard, quand le ministère faisait des concessions aux évêques, quand il sacrifiait