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parmi lesquels ni la classe supérieure ni la classe moyenne ne se trouve représentée. Les propriétaires ne vivent pas sur leurs domaines, et les fermiers ne sont que des laboureurs, sans capitaux et sans lumières ; aucune profession libérale n’y est exercée, pas même l’art de guérir ; point d’industrie ni de commerce, même en détail ; le village de Dunkirk, terre d’église, qui appartient au chapitre de Cantorbéry, est absolument privé des secours spirituels, et sans les 300 livres sterling attachées à la cure de Herne-Hill, cette paroisse n’aurait probablement pas fixé la résidence du seul gentleman qu’elle renferme. Il n’y a donc là que des paysans, et des paysans abandonnés à eux-mêmes, des paysans qui ne reçoivent rien de la société que leur salaire, en échange d’un travail qui fait produire au sol la rente du propriétaire et la dîme du clergé.

Les hommes, par cela seul qu’ils vivent en société, demandent à être conduits ; quand leurs chefs naturels leur manquent, ils sont à la merci du premier charlatan qui veut s’emparer de leur esprit et qui se fait fort de les diriger. « Seriez-vous disposé à écouter un bon avis ? demandait M. Liardet à un paysan. — Je ne le crois pas, monsieur, répondit le bonhomme, si le conseil venait de quelqu’un comme moi ; mais s’il m’était donné par un gentleman comme vous, je pense que j’y céderais. » Cette conversation est un trait le lumière ; elle explique à la fois l’état moral des paysans et l’ascendant que Courtenay obtint si promptement parmi eux. Tout autre gentleman qui aurait pris la peine de leur parler de leurs intérêts dans cette vie et de leurs espérances dans l’autre eût probablement exercé la même influence.

Il est à remarquer que le village de Boughton, le plus peuplé des trois, et celui où l’insurrection vint former ses rangs, n’a compté qu’un des siens parmi les paysans qui ont péri, et deux seulement parmi les prisonniers. La plupart des victimes appartenaient aux paroisses de Herne-Hill et de Dunkirk. Cela ne veut pas dire que Boughton ait une grande supériorité de mœurs ou de lumières ; mais c’est un lieu de passage, dont les habitans se frottent par conséquent un peu plus au monde, et que la civilisation éclabousse de temps en temps, si elle n’y pénètre pas. Les prophètes et les charlatans, rencontrant peu d’illusions en pareil lieu, doivent y faire moins de prosélytes ; de là le peu de succès de Courtenay à Boughton, où il ne recruta pas plus de trois dupes sur treize cents habitans.

Depuis l’ouverture du chemin de fer qui va de Londres à Folkestone et à Douvres, le courant des voyageurs s’est détourné. La population