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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/430

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Dans cette troisième phase du fouriérisme, la conversion des sages a fait de nouveaux progrès, ils ont tamisé de plus en plus la lumière, de crainte d’éblouir les lecteurs ; l’orthodoxie, l’excentricité, pour mieux dire, a été reléguée dans le feuilleton. Autrefois, on rédigeait consciencieusement tous les ans le discours du trône, tel que le cabinet phalanstérien l’aurait conçu. Le roi ne manquait pas de dire que depuis 1830 il n’avait poursuivi qu’un seul but, la fondation du phalanstère ; toutes les négociations avec les cours, toutes les mesures intérieures, avaient été ménagées de manière à pouvoir présenter à la France un ministère d’initiés. La Démocratie pacifique a fini par sourire elle-même, du moins en apparence, de sa propre naïveté. Jamais elle ne s’est plus rapprochée de tout le monde, jamais les expectans n’ont été aussi nombreux. M. Victor Hugo lui-même, le poète maudit par le magicien, constamment attaqué par les disciples, est réhabilité aux yeux des sages depuis certain discours où M. de Lamartine s’est nettement séparé de la secte. Des profanes distingués ont été admis à côté des rédacteurs orthodoxes. Jusque-là il y avait progrès ; malheureusement la civilisation a introduit ses vices au sein du phalanstère. Les adamites de la politique ont perdu l’enthousiasme de l’âge d’or, l’innocence de l’âge d’argent, et, sans arriver à une conversion complète, ils se sont arrêtés dans une situation équivoque qui empire tous les jours. Le journal de la secte, s’admirant lui-même, a d’abord revendiqué modestement le droit de juger et de gouverner tous les partis. Je n’ai pas d’idées, s’est-il dit, donc je saurai juger toutes les idées, je suis impartial. Récemment les sages ont déclaré qu’ils avaient tué la politique[1]. « Incontestablement le but spécial de notre travail, disent-ils, a été atteint ; où sont aujourd’hui les partis de 1834 et de 1836 ? la débâcle de la vieille politique est consommée, les vieux partis sont brisés, anéantis. » Il n’y a donc plus ni légitimistes, ni républicains, ni juste-milieu ; il n’y a plus en Europe ni gouvernemens absolus, ni diplomatie, ni catholiques, ni protestans ; les querelles de l’Université, du clergé, ont cessé, et le tout grace à la Phalange. En vérité la mouche du coche avait plus de modestie. Après avoir enterré la politique, les sages ont inventé le socialisme et frayé la route au parti social. « L’organisation du travail, la grande idée soulevée au commencement du siècle par Fourier emporte dans son tourbillon, non-seulement ceux qui l’acceptent, mais encore ceux qui s’efforcent de lutter contre elle. » Les sages qui se vantent d’avoir tué la politique professent donc le socialisme, qui est la politique à sa dernière puissance ; ils prétendent même avoir inventé la révolution, la convention, qui proclame le droit de tous au travail, Babeuf et Buonarrotti ; ce sont eux qui ont jeté la détresse dans les classes pauvres, provoqué les coalitions des ouvriers, découvert les droits de l’homme. On ne saurait plus naïvement se contredire.

  1. La Phalange, Revue de la science sociale, t. I, p. 38. — Sous ce titre paraît la continuation de l’ancienne Phalange, depuis long-temps interrompue, et reprise au commencement de cette année.