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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/431

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Pour sauver cette contradiction du socialisme sans politique, les disciples de Fourier ont placé les réformes sociales et administratives avant les questions gouvernementales, avant les principes. Ne voient-ils pas que la bureaucratie ne peut rien contre un ministère, que la politique révolutionnaire n’est que la défense de tous les intérêts sanctifiés par un principe, que la meilleure des réformes administratives peut devenir une cause de ruine politique[1], que le socialisme sans politique est le despotisme du docteur Francia, la plus hideuse des tyrannies ? Comment prétendre que la politique est morte, quand on intervient dans toutes les affaires, quand on prend parti sur toutes les questions, quand on tombe d’accord avec l’opposition sur les évènemens d’Espagne, d’Irlande, de Suisse, et quand on publie un journal quotidien, sans se refuser aucune des aménités de la polémique ? On croit s’affranchir du joug de la politique, et en réalité on ne fait que de la politique personnelle, on ne cherche que des ressources, des relations, des alliances ; on vise à la modération, et on flatte les partis extrêmes ; on a loué la veille un journal ultrà-conservateur, le lendemain un journal ultrà-radical. L’égoïsme est le dieu de l’école ; les mêmes actes, les mêmes hommes sont tour à tour bafoués et applaudis suivant les convenances de la secte. Aux éloges on répond par la flatterie, à la critique par l’injure. Enfin, tandis que l’école se déclare naïvement à la recherche d’une position sociale par la force du feuilleton, elle prêche la plus profonde des immoralités politiques, l’indifférence, le mépris en matière de principes et de partis. Je n’accuse pas les intentions, je n’accuse pas les homme, je n’accuse pas non plus l’essor des passions ; j’accepte, s’il le faut, toutes les apologies de la moralité du phalanstère, bien que Fourier n’ait pas ajourné si loin qu’on nous l’assure la double polygamie, bien que la liberté amoureuse soit la première issue de la civilisation, bien que la morale, une fois détruite dans le principe qui oblige, soit immédiatement détruite dans l’application. Je n’accuse ici que cette tendance déplorable des phalanstériens, qui nous présente comme l’idéal de la perfection politique le type du mauvais citoyen. Sans principe, sans raison, sans limite, l’utopie phalanstérienne se réduit à la suppression de tous les devoirs politiques et au dénigrement systématique de tous les principes au profit de tous les gouvernemens établis.

Que le magicien renonçât à la politique, on le conçoit : la magie suppléait à la politique, à la philosophie, à la religion, à la guerre, à tout. Fourier était à sa manière dans le sens commun, il avait une idée, cette idée de la magie qui dominait le monde avant l’apparition du christianisme et de la philosophie. Les disciples de Fourier, après avoir ajourné l’industrie attrayante, cosmogonie, le phalanstère, n’ont pas même l’excuse de la folie ; ils n’empruntent

  1. La Démocratie pacifique proposait les assurances unitaires par l’état ; c’est le plan que le duc de Modène voulait réaliser en 1832. L’opinion des Modénais repoussait les assurances unitaires, et avec raison, car les bénéfices auraient multiplié les sbires, les espions, les jésuites et toutes les mesures nécessaires pour emprisonner les propriétaires, dont les biens auraient été d’ailleurs parfaitement assurés !