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au fouriérisme que ses tendances grossières, moins le principe du système, ils en sont réduits à reconnaître qu’ils se bornent à inspirer le désir de lire les ouvrages de Fourier, et ces ouvrages sont la meilleure condamnation de leurs théories nouvelles. Défendent-ils les gouvernemens ? Le maître a déclaré que ce sont là des tyrannies pénibles. Se placent-ils avec les démocrates ? Fourier les appelle dupes ou fripons. Tiennent-ils à des constitutions ? Je m’en bats l’œil, a dit le magicien, je ne les lis pas. Respectent-ils la philosophie ? Elle n’a inspiré (c’est encore Fourier qui parle) que des massacres, des lois subversives. Fourier approuve Napoléon d’avoir supprimé la section, des sciences morales à l’Institut ; on ne doit rien attendre des philosophes ; comme les savetiers, ils ne travaillent pas dans le neuf. Respectent-ils la religion ? La religion est une facétie indigne. S’efforcent-ils de concilier le christianisme et le fouriérisme ? Mais la loi du sacrifice, c’est l’anti-fouriérisme, elle est à la doctrine comme les ténèbres à la lumière, comme la terreur à l’amour, comme le besoin à l’attraction. Suivant Fourier, Jésus-Christ cachait son jeu, de crainte d’alarmer la caste ; il vivait avec des courtisanes, il dînait chez des traitans ; il disait : Frappez et on ouvrira ; c’était dire : Cherchez l’industrie attrayante, et vous la trouverez. On n’a pas cherché, et la civilisation est encore chrétienne ; la Théorie des quatre Mouvemens a paru, et la société est toujours plongée dans l’impénitence finale du christianisme. Enfin, si les fouriéristes promettent de pratiquer la morale chrétienne, Fourier leur répond encore : « La morale vient de morari, retarder, entraver, et il faut, au lieu de l’homme moral, entravé, et par suite faux, hypocrite, étudier l’homme passionnel. » Le devoir est une des nécessités les plus monstrueuses de la civilisation. Quand on propose des colonies agricoles, des fermes d’asile, on est dupe de ce que Fourier appelait des avortemens philanthropiques, des cacophonies champêtres. Tenez-vous au progrès de l’enseignement primaire, secondaire, libre, universitaire, peu importe ? « Vous multipliez les chevaliers d’industrie en rébellion avec la société par l’excès d’instruction et l’exiguïté des moyens. » Améliorez-vous la civilisation ? C’est empirer un fléau, c’est multiplier les malheurs. Enfin, prêchez-vous l’association ? Vous ne rencontrez pas de plus redoutable adversaire que Fourier ; vous êtes simplistes, vous tombez dans le charlatanisme de Owen et de Saint-Simon, vous méconnaissez l’art d’associer. On ne juxtapose pas les hommes ; si l’attraction ne les unit, les familles se subdivisent ; hors du phalanstère, il n’y a que la lutte : la nature, dans la civilisation, a opposé individu à individu, famille à famille, peuple à peuple ; la guerre ouverte ou cachée est inévitable et universelle. Comment donc associer la diplomatie à Constantinople, comment donc concilier dans chaque état et sans coup férir tous les intérêts opposés ? Le magicien partirait d’un éclat de rire, lui qui démontrait la nécessité absolue de la guerre, la nécessité de la lutte des passions hors de l’harmonie, lui qui se confiait même dans cette lutte, car plus l’égoïsme était acharné, implacable, plus la guerre était forte entre les civilisés, et plus il était sûr que la force des passions non plus répercutée,