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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/433

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mais directe, aurait enfanté des prodiges dans l’essor libre et convergent du phalanstère. Fourier ne biaisait pas, ne louvoyait pas, il ne laissait d’autre alternative que la guerre ou le paradis ; il ne conseillait pas à Napoléon de se confier niaisement dans la bonne volonté des alliés. Combattait-il les libéraux ; il était grand dans son cynisme, il faisait l’apologie de Francia ; suivant lui, Napoléon devait s’emparer du commerce, fabriquer des chapeaux rouges, et imposer une religion.

Quel est donc le lien entre les disciples et le maître ? Séparés sur tous les points, s’accorderaient-ils dans la critique de la féodalité industrielle et de la libre concurrence ? Le magicien combattait la libre concurrence avec toutes les idées qui détruisent la propriété, la famille, la société. Depuis deux mille ans, on accusait la propriété de développer l’égoïsme. Fourier respecte le principe de la propriété pour attaquer le fait, la propriété vivante, qui circule dans le commerce, se produit librement par le travail, dans tous les accidens de la concurrence. Les premiers socialistes disaient : La propriété conduit à la féodalité, à l’ ??? ; il a dit : La propriété morcelée, jointe à la famille, conduit aux castes et à la féodalité. On avait soutenu que la propriété met en lutte les pauvres et les riches, les peuples et les gouvernemens : il croit démontrer qu’elle met en opposition les prolétaires et les capitalistes, les ouvriers et les grands seigneurs de la terre et de l’industrie ; on disait que la propriété, c’est la guerre ouverte ou masquée : il a répété que la concurrence est une guerre ; on disait enfin que la propriété dictait des lois répressives, politiques, jamais morales : il a reproduit la même idée ; toute la critique de la concurrence se retrouve dans les théories de Platon, de Campanella, de Morelli. Pour l’adopter, il faut être communiste ou magicien, point de milieu, car Fourier accusait la concurrence et la féodalité actuelles, comme il accusait tous les moyens de la civilisation, tous les procédés de l’industrie, toutes les limites des sciences descriptives. Et Fourier ajoutait comme renfort à ses attaques toutes les critiques formulées par les théoriciens même de la libre concurrence, et par ceux qui la combattaient au nom du monopole. Smith n’ignorait pas que, si la concurrence profitait au public, elle jetait la guerre dans le commerce, que cette guerre avait un seul et unique frein, la banqueroute, et il n’hésitait pas à proclamer la concurrence pour supprimer la grande guerre du monopole. Que répondait le monopole ? Il criait à l’anarchie. Fourier notait, acceptait toutes les critiques des hommes, car il avait la science des dieux. Les disciples de Fourier suppriment la magie ; dès-lors, à quoi bon leur polémique ? Peut-elle au moins s’expliquer par le socialisme ? Mais l’utopie socialiste, confiée à la discrétion des chambres, n’est guère dangereuse. Au reste, le socialisme lui-même, vrai ou faux, le socialisme dans toutes ses nuances n’avait pas aux yeux de Fourier plus de valeur que la politique. Voyez sa haine contre les jacobins, contre les démocrates, son exaspération contre les deux sectes de Owen et de Saint-Simon. Nous le répétons, il était magicien, il croyait à la toute-puissance du nombre, au charme irrésistible de la musique ; et s’il émancipait le peuple, c’est