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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/434

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qu’il émancipait l’homme, les rois, les empereurs, les papes ; s’il assurait un minimum avec voiture aux pauvres, c’est qu’il transfigurait l’univers comme Boehm et Swedenborg.


VII. – LES ECRIVAINS FOURIERISTES.

Nous avons vu qu’en cherchant à vulgariser le fouriérisme, on l’avait détruit. Dans les publications mêmes qui ne sont destinées qu’aux initiés, la doctrine du maître s’est perdue. Sans doute le zèle ne manquait pas : l’un des premiers actes du pontificat de M. Considérant a été de dresser un catalogue des livres orthodoxes ; les écrivains qui représentent cette orthodoxie se citent les uns les autres avec une vénération qui nous attendrit et nous met sans cesse dans la voie des bonnes lectures. Malgré tout, les trois théories du fouriérisme, c’est-à-dire la musique mondiale, l’harmonie des instincts et des travaux, l’explosion du phalanstère, ne se trouvent nulle part réunies ; hors des livres de Fourier, nous n’avons que d’incomplètes et pâles compilations.

Le premier en date parmi les écrivains fouriéristes, M. Juste Muiron, doit être classé à part, il appartient à l’époque de la restauration, époque anté-diluvienne pour le fouriérisme. Le premier, il admira la terrible poésie du magicien, quand Fourier était encore un commis-marchand fort inconnu et un peu ridicule par ses lubies. En même temps, il eut le mérite de dégager le premier du labyrinthe magique de l’harmonie l’idée du comptoir communal, c’est-à-dire de la commune en commandite, dans ses Aperçus sur les procédés industriels, publiés en 1824. C’était réunir le double tact de l’artiste et de l’administrateur. — Après M. Juste Muiron vient M. Jules Lechevalier[1] ; il expose avec simplicité, d’une façon persuasive et sympathique, la doctrine de Fourier, que d’ailleurs il altère en bien des points. C’est à peine si dans cet âge primitif et antique de la religion nouvelle, on croyait à une vague et lointaine réhabilitation de l’homme et de la nature.

M. Considérant, qui a succédé à M. Lechevalier comme chef et représentant de la secte, est encore très loin de personnifier la véritable doctrine de Fourier ; il croit que le phalanstère se fonde sur l’expérience ; il ne s’est jamais occupé des nombres ; c’est par hasard qu’il a écrit quelque page sur la musique mondiale : sa foi pèche par la base, quoique, dans un élan d’orthodoxie, il soit arrivé au faîte de la hiérarchie harmonienne. Une pléiade d’écrivains entoure M. Considérant : peu appréciée dans le monde de la civilisation, elle attend les jours de l’harmonie pour briller de tout son éclat. Le plus distingué de ces écrivains, M. Paget, mort en 1840, était le Caton de la phalange ; il exposait avec méthode, il dénombrait avec une gravité plaisante les plus étranges rêveries politico-économiques du magicien. Il nous faut la série, donc les passions formeront la série ; il nous faut le travail attrayant, donc le travail sera attrayant ; il nous faut la justice, donc la justice

  1. Études sur la science sociale, 1835.