Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régnera dans le phalanstère ; il faut que la population ne dépasse pas certaines limites, donc elle ne les dépassera pas. Tel est le naïf raisonnement que poursuit M. Paget d’un bout à l’autre de son livre[1] ; pas un mot sur la morale, sur la cosmogonie, pas le moindre soupçon que Fourier ait dû transfigurer la nature pour assurer d’avance toutes les possibilités du phalanstère.

Les efforts tentés par M. Considérant pour civiliser peu à peu le phalanstère devaient provoquer des révoltes intérieures. D’abord on ne put entrer dans les voies gouvernementales en 1839 sans qu’il y eût des dissidens ; on ne put faire des concessions aux civilisés sans irriter les sages. Plusieurs néophytes se séparèrent à cette époque du centre directeur. Le centre à son tour dut désavouer d’abord le zèle intempestif de quelques fidèles qui demandaient à la chambre la fondation du phalanstère ; il dut aussi se prononcer contre d’autres fidèles qui préparaient très sérieusement une tentative de réalisation dans le Brésil, et pouvaient ainsi compromettre la vraie sagesse. A côté des ultras, il y eut les hérétiques. M. Pompery, auteur d’une théorie de l’association universelle[2], inspira de vives inquiétudes à la phalange. Il pensait, il raisonnait, il présentait le phalanstère comme le couronnement du progrès continu ; à ses yeux, M. Pierre Leroux était le saint Jean. Baptiste de Charles Fourier, il osait même avouer quelques scrupules à l’endroit du travail attrayant des bayadères. Les sages frémirent, le téméraire fut grondé, et ses livres ne figurent pas dans le catalogue de la véritable sagesse. Une ardente néophyte du fouriérisme, Mme Gatti de Gamond[3], se sépara son tour du centre directeur. Elle prêcha ouvertement contre les mœurs harmoniennes : elle admettait volontiers l’essor des onze passions ; mais l’essor de l’amour, elle le rejetait au nom de toutes les femmes. On dissimula ce scandale. Nous passons sous silence bien d’autres dissidences microscopiques Un pas de plus, et nous tomberions dans l’analyse des infiniment petits.

L’attaque la plus vive partit du midi de la France. Dès l’avènement de M. Considérant, il avait surgi dans les environs de Toulouse un hérésiarque qui, sous le pseudonyme de Daurio, se livrait, dans une correspondance harmonienne, à l’interprétation la plus téméraire des livres magiques, prétendant ainsi se soustraire à l’autorité du comité directeur de Paris. En 1837 l’hérésie de Toulouse avait déjà fait une centaine de recrues. La révolte se déclara complètement vers 1841. — L’impiété du centre parisien, dit M. Daurio, fait supposer un vice dans la doctrine de Fourier ; examinons donc cette doctrine. Elle se fonde sur trois principes : Dieu, la matière et le nombre, qui gouverne Dieu lui-même. Donc, le véritable Dieu, c’est le nombre. Fourier identifie dans une même loi les mouvemens des astres, des

  1. Introduction à l’étude de la science sociale.
  2. Introduction religieuse et philosophique à la théorie de l’association de l’unité universelle.
  3. Fourier et son Système ; 1838. — Réalisation d’une commune sociétaire ; 1840.