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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/443

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de compagnie le long des viviers de Tusculum ; mais quelle distance de ces interlocuteurs consulaires, de ces correspondans patriciens, comme un Hortensius ou un Atticus, à l’enjouement bourgeois d’un Lamothe-le-Vayer ou à la causticité parisienne d’un Guy Patin !

Je m’aperçois qu’en insistant on trouverait toujours plus de contrastes et moins de rapports : c’est un danger que courent souvent les faiseurs de parallèles. Le seul point, du reste, que je tienne à maintenir dans ce rapprochement un peu factice de Varron et de Naudé, c’est que tous deux, avec la même curiosité de tout apprendre et de faire pour ainsi dire le tour de la science, gardèrent dans leur style je ne sais quelle vieille saveur nationale et surent, au lieu de laisser éteindre leur verve sous l’érudition, en faire un utile auxiliaire pour leur humeur moqueuse. Le Mascurat est une satire tout comme ces Ménippées presque inconnues auxquelles le vieux Romain a laissé son nom : telle est pour nous la ressemblance qui importe. Là comme ici l’érudit recouvre le moraliste ; c’est tout ce qu’on voulait dire.

En France, ce procédé d’ironie sous air d’érudition ne saurait surprendre : chez nous, bien souvent, la science et la raillerie ont été sœurs. Ainsi, avant de tracer les pages austères de l’Esprit des Lois, la plume de Montesquieu s’était jouée à plaisir dans les Lettres Persanes ; mais, sans s’appuyer d’un exemple de génie qui pourrait être pris pour une exception, on peut noter comme une marque toute particulière de l’esprit français cette fréquente alliance de la moquerie et du savoir. Voyez plutôt que de fois, dans notre littérature, la veine courante et nationale de la satire s’est glissée chez les érudits ; que de fois les plus malicieux génies ont fait perfidement flèche de l’érudition ! Y a-t-il un seul recoin obscur de l’antiquité où Rabelais et Bayle n’aient fouillé, n’aient trouvé quelque trait piquant ? Notre admirable Ménippée du Catholicon n’est-elle point l’œuvre collective de quelques latinistes en bonne humeur ? La Monnoye n’entremêlait-il pas ses perquisitions bibliographiques de noëls gausseurs ? Et Courier enfin, pour prendre un exemple qui nous touche de près, ne tenait-il pas plus encore à sa réputation d’helléniste qu’à sa gloire de pamphlétaire ? Varron est de cette famille-là.

De plus de quatre cent quatre-vingt-dix livres sur toute espèce de sujets que l’antiquité connaissait de cet infatigable polygraphe, πολυγαφώτατος, comme l’appelait Cicéron[1], il ne nous en est parvenu

  1. Ad Attic., XIII, 18.