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que deux, dont l’un encore est bien mutilé, son Agriculture et son traité de la Langue latine. De là vient que nous sommes habitués à ne voir exclusivement en lui qu’un sage dissertant sur les charrues et les abeilles, ou un curieux étymologiste destiné à faire quelques siècles plus tard les délices des Priscien, des Nonius, et de tous les plats grammairiens de la décadence. D’ordinaire, on ne se figure le grand Varron que dictant, à quatre-vingts ans, pour sa femme Fundania, des préceptes d’économie rurale ; on ne se le représente qu’avec cet air sérieux que son ami Cicéron lui donne dans les Académiques. En 1794, au sortir des sanglantes épreuves de la terreur, M. Joubert, écrivant à M. de Fontanes, lui conseillait la lecture des livres faits par les vieillards qui ont su y mettre l’originalité de leur caractère et de leur âge. Varron, entre autres, était recommandé au futur grand-maître, et M. Joubert ajoutait : « Vous me direz si vous ne découvrez pas visiblement, dans ses mots et dans ses pensées, un esprit vert, quoique ridé, une voix sonore et cassée, l’autorité des cheveux blancs, enfin une tête de vieillard. Les amateurs de tableaux en mettent toujours dans leur cabinet ; il faut qu’un connaisseur en livres en mette dans sa bibliothèque. » C’est bien là le savant respecté[1] dont les connaissances universelles édifiaient déjà Quintilien[2], et dont la fécondité merveilleuse faisait dire à saint Augustin, au milieu d’éloges sans bornes, qu’un seul homme eût à peine pu lire ce que seul ce Romain avait écrit[3] ; c’est bien ce personnage vénérable que Pétrarque[4] mettait entre Cicéron et Virgile, et dont il disait en des vers qui sont le plus glorieux éloge

Varrone, il terzo gran lume romano,
Che quanto’l miro più tanto più luce…

« Varron, la troisième grande lumière de Rome, qui brille d’un éclat plus vif à mesure que je la contemple davantage. »

Tel est le Varron en quelque sorte officiel. Ses contemporains déjà

  1. Aussi, lorsqu’un certain grammairien nommé Palémon, ancien tisserand qui s’était fait professeur, et auquel on pardonnait sa grossièreté en considération de son éloquence, s’avisa un jour de traiter Varron de porc, le trait fut-il cité comme la plus grande marque d’arrogance qu’un homme pût donner. (Voyez l’anecdote dans Suétone, de Gramm. ill., 23.)
  2. Quam multa, immo paene omnia tradidit Varro ! (Orat. Inst., XII, 11.)
  3. Tam multa legisse, ut aliquid ei scribere vacasse miremur ; tam multa scripsisse, quam malta vix quemquem legere potuisse credamus. (De Civ.Inst. VI, 1)
  4. Trionfo della Fama, III, terz. 13.