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le traitaient sur ce ton de solennité respectueuse ; aussi quand Pollion, avec les dépouilles de la guerre, fit construire, à côté du Palais de la Liberté, une galerie magnifique destinée à recevoir les ouvrages et les bustes des écrivains illustres, le vieil ami de Pompée fut-il le seul vivant dont on admit l’image. C’est une gloire qui, dix-sept siècles plus tard, devait se renouveler pour Buffon dans les galeries du Jardin du Roi. Il y a autour du souvenir de Buffon et de Varron je ne sais quoi de majestueux et d’imposant : on dirait que ni l’un ni l’autre n’ont jamais souri. Pour Varron, c’est certainement une erreur, et je tiens à prouver que je n’ai point fait du paradoxe à plaisir en le rapprochant de Naudé. Toute la différence, c’est que Naudé finit par le Mascurat, tandis que Varron commença par ces Ménippées que ses autres ouvrages firent ensuite oublier.

Laissons donc aujourd’hui les traités assez peu avenans de l’Agriculture ou de la Langue latine, et cherchons à surprendre la gaieté sur les lèvres sérieuses du Romain. L’occasion d’ailleurs est propice pour s’occuper des Saturœ Menippeoe. Depuis bientôt trois cents ans que notre Robert Estienne a commencé d’en recueillir les fragmens mutilés, tous épars dans les glossateurs et les grammairiens, jamais la critique française ne s’est demandé ce que c’était que ces curieux monumens de l’hilarité latine, dont l’un des premiers chefs-d’œuvre de notre propre littérature a pour jamais dérobé le nom et consacré en même temps le souvenir. Or il se trouve précisément que d’un côté un jeune érudit allemand, M. Franz OEhler, vient de donner une bonne récension de ces Ménippées[1], et que de l’autre un savant professeur de Padoue, M. Vincenzo Devit, a retrouvé récemment et publié, d’après des manuscrits inédits, un certain nombre de Sentences varroniennes[2]. On le sait, tout vrai satirique doit contenirun moraliste : nous sommes donc autorisé par l’à-propos à chercher dans ces débris divers, le caractère et les proportions véritables de compositions piquantes, et malheureusement perdues, où Varron après Lucile, avait peint la société de son temps. Qu’on nous laisse en passant, recueillir sur la rive quelques-unes de ces planches brisées, quelques morceaux de ces mâtures rompues, qui témoignent du moins des pertes du naufrage ; c’est un devoir pieux, Les littératures

  1. M. Terentii Varronis Saturarum Menippearum reliquioe, Quedlinbour, 1844, in-8o ; Paris, Klincksieck, rue de Lille, 11.
  2. Sententioe M. Terentii Varronis majori ex parte ineditoe, Padoue, 1843, in-8o ; Paris, chez Firmin Didot.