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sais quel détroit de l’Adriatique ; il avait alors quarante-neuf ans. Propréteur et gouverneur de la Cilicie, sa pacifique carrière d’administrateur fut interrompue par la guerre civile. Ami particulier de Pompée, qui usait de lui familièrement, jusqu’à lui commander pour son usage propre une sorte de manuel des rapports du consul avec le sénat, Varron resta fidèle à l’adversaire de César, qui se trouvait représenter d’ailleurs le parti des vieilles libertés républicaines, lequel était le sien. Devenu l’un des trois lieutenans de Pompée en Espagne, il fut chargé de défendre la Citérieure. Quand César eut battu les deux autres généraux, il marcha en personne contre Varron, dont les soldats déjà étaient ou gagnés ou abattus : une des deux légions déserta même sous les yeux de son chef. Voyant, aux environs de Cordoue, que la retraite lui était coupée, le lieutenant de Pompée se rendit à discrétion. Cédait-il ici à la nécessité, ou faisait-il acte de prudence ? S’il en faut croire une phrase épigrammatique des Commentaires de César, Varron se laissa surtout ébranler sous le branle de la fortune[1]. Du reste, le vaincu comme le vainqueur (ils étaient liés d’une amitié ancienne) se conduisirent tous deux avec délicatesse ; César rendit aussitôt la liberté à Varron, et Varron profita de cette liberté pour aller à Dyrrachium et raconter lui-même sa défaite à Pompée.

A partir de ce jour, l’auteur des Satires Ménippées quitta résolument la vie politique, et rien désormais ne l’y put faire rentrer, pas plus les séductions du pouvoir que l’amour de la liberté compromise. Varron appartenait aux lettres ; les vingt-quatre dernières années de sa vie furent exclusivement consacrées à l’étude. Après avoir demandé pendant quelque temps à ses riches villas un refuge contre les troubles civils, il revint à Rome. Quelques amis communs, les Oppius et les Hirtius, lui ménagèrent le pardon complet du dictateur, qui le chargea de rassembler ses livres et de les ranger avec ceux qui déjà appartenaient à la république : c’était un premier essai de bibliothèque nationale. Même aux yeux de César, on le voit, Varron n’était plus qu’un lettré. La vie de l’ancien lieutenant de Pompée se passa dès-lors tout entière entre l’étude, la culture des champs et les soins de l’amitié.

Le plus souvent, il demeurait à la campagne, allant de sa villa des environs de Cumes à sa maison de Tusculum, où la beauté du paysage et l’extrême pureté de l’air le retenaient souvent ; il visitait ses fermes, entretenait ses garennes et ses viviers, surveillait les nombreux troupeaux de moutons et de chevaux qu’il avait en Apulie et dans la Sabine,

  1. Se poque ad motum fortunae movere coepit. (De Bell. aiv., II, 17-20.)