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ou bien encore il se délassait en faisant admirer à ses amis la volière magnifique qui ornait sa terre de Casinum, sur l’ancien territoire des Volsques. En tout cela, Varron restait fidèle à la vieille tradition romaine qu’il aimait, regrettant avec amertume l’heureux temps ou l’on ne donnait que deux jours sur neuf aux choses de la ville, et où les travaux du labour et des vignobles passaient pour chacun avant les affaires du cirque. Homme du passé par ses goûts ruraux et simples, par son attachement au parti de la république, il appartenait pourtant aux temps nouveaux par un amour passionné des arts[1] : aussi s’ingéniait-il à toutes sortes de curiosités et de recherches ; il avait une horloge de son invention[2], des collections de toute espèce, entre autres un riche musée, plein de sculptures et où se trouvait un groupe admirable, taillé dans un seul bloc par le statuaire Archelas, et représentant une lionne autour de laquelle jouaient des Amours. Du reste, dans ces villa, point de lambris précieux, point de pavés de marbre, point de ces incrustations en citronnier qui ruinaient les familles au temps de Martial ; le vermillon et l’azur ne brillaient pas sur les plafonds, on ne marchait point sur la marqueterie et les mosaïques. Ce que Varron aimait le mieux, c’étaient les murailles garnies de livres, literis exornati parietes[3] ; c’était son cabinet de Casinum, situé à la source d’un ruisseau, tout proche de sa belle volière. Là se passaient pour lui les plus douces heures.

Elles devaient être douces aussi, les heures que Varron donnait à Cicéron. Ni l’un ni l’autre n’était jeune quand cette liaison arriva à l’intimité ; mais on comprend qu’au milieu des désastres publics la

  1. Pline l’ancien rapporte que Varron, pendant son édilité, avait fait venir de Lacédémone une peinture à fresque dont on orna les Comices, et dont la beauté fut long-temps un sujet d’admiration. (Hist. nat., XXXV, 49.)
  2. C’était un cadran sur lequel une main mesurait le temps au moyen d’un mécanisme ingénieux. Peut-être fut-ce la première horloge connue chez les Romains, qui, au temps de Plaute, n’usaient que tout récemment du soleil pour mesurer les heures. On en peut juger par un court et curieux fragment qui nous est resté de la Bis Compressa ; c’est un gourmand, probablement un parasite qui parle : « Que les dieux exterminent le premier qui inventa la division des heures, le premier qui plaça dans cette ville un cadran solaire ! Le traître qui nous a coupé le jour en morceaux pour notre malheur ! Dans mon enfance, il n’y avait pas d’autre horloge que l’estomac, bien meilleure, bien plus exacte que toutes les leurs pour vous avertir à propos, à moins qu’il n’y eût rien à manger. Mais maintenant, quoi qu’il y ait, il n’y a rien que quand il plaît au soleil. A présent que la ville est remplie de cadrans solaires, on voit presque tout le monde se traîner desséché, affamé. » (Voir le Plaute de M. Naudet, t. IX, p. 360.)
  3. De Re rust., III, 1.