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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/450

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nature d'homme de lettres se trahit à chaque phrase : « A quoi avez-vous reconnu, écrit-il à Atticus, que Varron souhaite cela de moi, lui qui, parmi tant d’ouvrages qu’il a composés, ne m’en a jamais adressé aucun ? » Cicéron finit pourtant par donner une place à Varron entre les interlocuteurs de ses Académiques, et il lui dédia cet ouvrage au nom de leur ancienne amitié, vetustate amicitioe conjunctus ; mais il ne put s’empêcher de laisser, là même, échapper quelques regrets à son tour sur les retards apportés à la publication d’un autre livre qui devait lui être adressé : — « Les muses de Varron, disait Atticus dans ce dialogue, gardent un silence plus long qu’à l’ordinaire ; je ne crois pas pourtant qu’il demeure oisif, je crois plutôt qu’il ne nous dit rien de ce qu’il écrit. » - Et Varron alors répliquait - « Point du tout ; c’est, je pense, folie de travailler pour n’en rien dire. Mais j’ai entre les mains un grand ouvrage ; j’ai dessein d’adresser à notre ami des recherches importantes et que je prends soin de limer et de polir. » - Et Cicéron à son tour, se donnant la parole, répondait : — « J’attends déjà depuis long-temps ; mais je n’ose vous presser. » - Il s’agissait de ce traité de la Langue latine qui ne nous est parvenu que mutilé et auquel Varron travaillait alors. Les Livres Académiques eurent à peine paru que Cicéron, agité comme un poète le lendemain d’une épopée, s’inquiétait de ce que Varron penserait du livre et de l’offrande ; il épanche à ce propos dans le sein d’Atticus les confidences de sa vanité maladive : « Je ne crains pas ce qu’on en dira ; qu’en dirait-on ? Je crains plutôt que Varron n’en soit pas content ; » et plus loin se flattant doucement lui-même : « Il n’est rien de mieux écrit que ces Livres. Je les adresse à Varron, surtout parce qu’il le souhaite ; mais vous le connaissez comme moi :

Son esprit soupçonneux accuse l’innocent[1]


Dites-moi, avez-vous été bien content de la lettre que je lui écris ? Que je meure si j’ai jamais rien travaillé avec tant de soin ! » On surprend ici l’amour-propre du grand homme en déshabillé. Varron fut-il satisfait ? Je l’ignore. L’auteur des Académiques convient lui-même que l’auteur du de Re rustica n’avait pas beaucoup d’orgueil littéraire[2] ; peut-être pourtant tous ces petits ambages d’auteur, cette précaution surtout que prenait Cicéron de faire savoir au lecteur, dans une sienne dédicace, qu’on lui préparait en revanche un don

  1. C’est un vers de l’Iliade, XI, 653
  2. Nihil magnopere meorum miror lui fait-il dire (Acad. 1, 2).