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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/451

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analogue, blessèrent-ils quelque peu Varron ? Ce qui paraît probable, c’est que, quand le traité de la Langue latine parut, l’envoi ne contenait rien autre chose que le seul nom de Cicéron. Certes c’était là le meilleur éloge ; mais je soupçonne pourtant que le célèbre auteur eût autant aimé une autre louange que cette apologie silencieuse.

Cette page-là peut servir à une histoire déjà bien longue et qui menace de l’être encore plus, car elle a commencé le jour où quelqu’un s’est avisé d’écrire, et elle ne finira qu’avec le dernier auteur, je veux parler de la vanité littéraire.

Varron avait fui la politique ; la politique le poursuivit dans sa solitude ; la tranquillité dont il avait joui pendant la dictature de César fut cruellement troublée quand vint l’omnipotence d’Antoine. Le triumvir trouvait à son gré la villa qu’habitait Varron : un jour qu’il venait de faire la débauche à Capoue, il s’en empara violemment. C’est de cette façon que presque tous les biens de ce septuagénaire illustre qui ne vivait plus que pour les lettres lui furent successivement enlevés. Il faut entendre en quels termes véhémens Cicéron parle de la présence d’Antoine dans cette villa de Casinum : « Quel changement ! s’écrie-t-il dans sa seconde Philippique. Varron en avait fait un lieu de retraite et d’étude, et non le repaire de la prostitution. Tout y respirait la vertu quels entretiens ! quelles méditations ! quels écrits ! C’était là qu’il expliquait les lois du peuple romain, les monumens des anciens, les principes de la philosophie et de tous les genres d’instruction. Mais pendant que vous l’accusiez, indigne usurpateur, tout y retentissait des cris de l’ivresse ; le vin inondait les parquets, il ruisselait le long des murailles ; des enfans de bonnes maisons étaient confondus avec les esclaves achetés pour vos plaisirs, les mères de famille avec les filles perdues[1]. » Telle était cette austère retraite du sage qu’un tyran corrompu lui enleva pour la profaner par ses orgies. On hait volontiers ceux qu’on dépouille : les exactions prennent un air de représailles par l’inimitié. Bientôt Varron fut inscrit par Antoine sur une table de proscription[2] où figuraient certains partisans de Pompée qu’avait épargnés la clémence de César. Heureusement Varron avait

  1. Cic., Philippic., II, 41 ; édition de M. Le Clerc. — Plin., Hist.nat., vu, 30.
  2. Schneider met ce fait en doute ; selon lui, Appien (IV, 47), venant cent cinquante ans après les événemens, aurait confondu l’auteur du de Re rustica avec un autre Varron dont il est parlé dans Dion Cassius et dans Velleius Paterculus, en sorte que cet homonyme seul aurait été proscrit. Les argumens subtils de Schneider ne m’ont pas convaincu : je préfère tout simplement la tradition à laquelle Aulu-Gelle a cru après Appien.