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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/453

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les amis les plus sûrs sont encore les livres. Et cependant ces dures épreuves des dernières années, la mort tragique de Pompée et de Cicéron, la proscription sanglante de tant de compagnons d’armes, la chute définitive des libres institutions qu’il aimait, le pillage de ses villa et de sa bibliothèque, durent lui faire une vieillesse bien triste. Je m’imagine qu’il pouvait s’appliquer à lui-même ce passage de son traité de la Langue latine[1] : « Celui que vous avez connu dans la beauté de ses premiers ans, vous le voyez flétri par l’âge ; trois générations ont passé sur lui et l’ont rendu méconnaissable. » Heureusement je ne sais quel air de vigueur et de ferme jeunesse resta jusqu’au bout à son style : Varron fut de ceux dont la main, même à la veille de mourir, ne tremble pas.


III.

Et cependant il avait beaucoup écrit. Aulu-Gelle cite de lui un passage formel, où ce Romain disait être âgé de quatre-vingt-quatre ans et avoir composé déjà quatre cent quatre-vingt-dix livres, septuaginta hebdomades librorum. Pour que la chose ne paraisse pas trop invraisemblable, il faut se rappeler Lope de Vega et ses dix-huit cents comédies. Les matières traitées par Varron embrassaient toutes les branches des connaissances humaines : critique, il écrivait sur les poètes, sur la rhétorique, sur l’art de l’historien, sur les pièces de Plaute, sur les origines du théâtre ; grammairien et étymologiste, il nous a laissé un traité de la Langue latine ; philosophe, il soutenait de sa plume les doctrines de l’ancienne Académie modifiées par quelques légères atteintes de stoïcisme ; théologien, dans son grand livre sur les Antiquités des Choses divines et humaines[2], il faisait encore au temps de saint Augustin l’admiration des lecteurs chrétiens ; savant, il traitait entre autres choses, dans ses Disciplines, de l’arithmétique et de l’architecture ; antiquaire et historien, dont Plutarque vantait l’érudition[3], il avait composé des Annales, un récit de la seconde guerre punique, des notices sur les images des grands hommes, un

  1. v, 5.
  2. C’était l’ouvrage le plus vanté de Varron ; M. Merkel en a recueilli avec soin les fragmens dans la grande préface de son édition des Fastes d’Ovide ; Berlin, 1841, in-8o, p. CVI et suiv. — On tirera moins de profit d’une dissertation antérieure de M. Krahner, publiée à Halle, en 1834.
  3. Vie de Romulus.- Niebuhr tient peu de cas de Varron comme historien. (Trad. franç., t, I, p. 16.)