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traité sur les origines de Rome, bien d’autres livres encore dont le plus regrettable pour nous est cette autobiographie que cite le grammairien Charisius ; agronome enfin, il avait exposé dans son de Re rustica tout ce que son expérience de propriétaire lui avait appris sur la culture des champs, sur les bestiaux et les basse-cours. On le voit, Varron est un encyclopédiste : les lettres, les arts, les sciences, il aborde tout avec la passion profonde d’apprendre lui-même pour faire connaître aux autres. Malheureusement les âges n’ont presque rien épargné de ces travaux sans nombre, et nous ne connaissons de lui que deux ouvrages : son essai sur l’Agriculture, par lequel il prend place entre Caton et Columelle, et son livre de la Langue latine, aujourd’hui bien mutilé. On en est donc réduit, sur l’ensemble et sur les détails de cette œuvre immense, aux conjectures et aux restitutions. Le seul point qui reste acquis à l’histoire des lettres, c’est que Varron fut en tout le père de l’érudition chez les Romains : Romanoe eruditionis parentem, Symmaque le répète au IVe siècle.

Mais ce n’est point l’érudit qui me touche ; je voudrais retrouver le poète. Cicéron, s’adressant à Varron dans ses Académiques, lui dit « Vous avez composé un poème élégant et varié, en vers de presque toutes les mesures. » S’agissait-il ici des Ménippées ?… Peut-être serions-nous à même de répondre, si le traité de Varron sur la Composition des Satires, que le grammairien Nonius avait encore sous les yeux, ne s’était dès long-temps perdu. — Il faut s’en souvenir, c’était alors une chose toute nouvelle que la satire ; on n’était séparé que par Lucile[1] de celui qui l’avait créée, de cet Ennius lu et relu avec tant de charme par Varron durant sa jeunesse. Or, ce poème mêlé de rhythmes divers, c’était bien probablement une satire à la façon d’Ennius, je veux dire un mélange, satura lanx, une corbeille de fruits de toute espèce. Lucile, il est vrai, avait fait de ces compositions quelque chose de plus sérieux, en adoptant les grands vers, en s’imposant des plans réguliers. Venant après ces deux maîtres, Varron voulut à son tour constituer quelque chose d’original : retenant donc de Lucile la régularité des cadres, et d’Ennius l’indépendance absolue de la forme, il appela Menippées des satires dans lesquelles il entremêla (personne ne parait l’avoir fait avant lui) la prose et les vers de là un genre particulier auquel ce nom est resté propre depuis des

  1. Je ne compte pas Albutius, qui avait imité Lucile, à ce que nous apprend Varron lui-même : « Homo apprime doctus, cujus Luciliano charactere sunt libelli… » (De Re rustic., III, 2.)