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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/456

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l’esclavage, sa rapacité le perdit. A force de prêter sur gages, à force d’exercer l’usure à la journée et l’usure navale (c’est-à-dire de se faire payer quotidiennement l’intérêt et de doubler le taux pour ceux qui allaient sur mer), il amassa beaucoup de bien ; mais on lui tendit des piéges, et il finit par perdre toutes ces richesses laborieusement dérobées. De désespoir, Ménippe se pendit. On en croira ce qu’on voudra. Il laissait divers ouvrages pleins de bouffonneries, πολλοϋ χαταγελωτος, entre autres des lettres plaisantes et des dialogues grotesques, où il couvrait de ridicule les diverses écoles philosophiques. Cette cynique indépendance de langage et d’opinions rendit Ménippe très célèbre et fit de lui une sorte de type, une espèce de Marforio et de Pasquin, sous le couvert duquel chacun glissa désormais ses hardiesses, tout ce qu’on n’osait pas dire à son propre compte. Qu’on se rappelle le rôle presque permanent qu’a Ménippe dans les satires de Lucien : c’est lui qui est le héros de la Nécyomantie, cette burlesque descente aux enfers ; c’est lui qui donne son nom à l’Icaroménippe, à cette risible ascension dans la lune où les dieux comme les hommes sont bafoués avec une verve impitoyable qui faisait pressentir déjà l’amertume railleuse de Voltaire. Le caractère de ce personnage, chez Lucien, est de s’exprimer librement et jovialement sur toute chose ; en un mot, Ménippe ne cesse pas un instant d’être fidèle au portrait qui est donné de lui dans le premier Dialogue des Morts, et où il est représenté comme un vieillard chauve, au manteau troué et diversifié de guenilles de toutes couleurs ; gausseur qui rit toujours et qui se moque surtout de « ces fanfarons de philosophes. »

On le sait, Varron écrivait près de deux siècles avant Lucien ; la réputation de Ménippe brillait alors de toute la vivacité de son premier éclat[1]. Il était bien naturel que Varron s’emparât de ce nom significatif qui, tant d’années après, était encore le meilleur symbole de raillerie audacieuse aux yeux du maître de la satire grecque ; mais jusqu’à quel degré l’écrivain latin fut-il imitateur ? Athénée cite un livre de Ménippe intitulé les Testamens, et il y a précisément une ménippée de Varron qui s’appelle sur les Testamens. Voilà une pâture pour les faiseurs de dissertations érudites à qui les hypothèses sont plus chères que les preuves ; pour ma part, je ne saurais conclure

  1. On est fort peu d’accord sur l’époque où vécut Ménippe, et il y a sur ce point une controverse qui, recueillie, ferait tout un volume. M. OEhler, par des conjectures ingénieuses, arrive à montrer que ce philosophe dut florir six olympiades environ avant la naissance de Varron.