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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/459

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pamphlet immortel, couvrirent la ligue d’un ridicule que les siècles n’ont pas effacé. Il n’est même pas indifférent de noter que l’un d’eux, le savant et ingénieux Passerat, avait précisément expliqué, dans sa chaire du Collège de France, le recueil de Robert Estienne. J’ai eu entre les mains l’exemplaire[1] surchargé de notes manuscrites dont il se servait.

Supposez un jeu de patience, une de ces lithographies découpées en fragmens de toutes formes que les enfans s’amusent à réunir ; eh bien ! c’est à peu près cela qu’a tenté Robert Estienne pour Varron. Seulement, comme le jeu était dépareillé et incomplet, comme il n’en restait que de petits morceaux isolés, il n’a pu reconstruire que certains coins de l’image d’après lesquels il est bien difficile de deviner l’ensemble. C’est comme un palimpseste trop effacé dont l’écriture ne reparaîtrait que çà et là ; la tentative pourtant était louable et utile. Si les œuvres de Boileau se perdaient demain, on pourrait en restituer quelque chose avec ce qu’ont cité les faiseurs de grammaires et de rhétoriques. Qu’on s’imagine ce que seraient pour nous les comédies de Molière, si on ne les pouvait apprécier que par les passages insérés dans les livres des Le Batteux et des Girault-Duvivier ! Voilà où nous en sommes réduits pour Varron. Disjecti rnembra poetoe, c’est un mot banal qui semble rajeunir pour la circonstance.

Depuis Robert Estienne, le texte incorrect de ces Ménippées n’avait pas subi une révision sévère, et l’édition spéciale donnée en 1590 par Popma avait toujours été servilement réimprimée jusqu’ici. Il était temps que la philologie moderne intervînt après plus de deux siècles d’abandon, et qu’elle soumît enfin à un contrôle intelligent ces fragmens précieux que personne, même les plus érudits, n’osait aborder, et qui n’obtenaient que très exceptionnellement l’honneur d’être invoqués par la science. C’est ce que vient de tenter avec succès le récent éditeur de Quedlinbourg. Mettant à profit les conjectures quelquefois ingénieuses, toujours hardies, de son prédécesseur Popma[2] M. Franz OEhler a fondu dans ce nouveau travail ses recherches personnelles, ses restitutions propres, avec les brèves indications données çà et là par Joseph Scaliger, par notre savant Turnèbe, par Burmann dans son Anthologie latine, et plus récemment même par un estimable érudit hollandais, M. Reuvens[3]. Sans doute M. OEhler est loin d’avoir tout éclairci dans les fragmens lacérés et corrompus

  1. Bibliothèque royale ; Y, 1531.
  2. Elles sont réimprimées dans le IIe volume du Varron des Deux-Ponts.
  3. Dans ses Collectanea litteraria, Leyde, 1815, in-8o, p. 118 et suiv.