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Varron, et, une fois mis à l’épreuve, ne put se tirer de ce mauvais pas qu’en simulant un mal d’yeux : avec les lecteurs, on ne saurait user de la même ressource. Glanons donc modestement et rapidement notre humble gerbe.


IV.

Aucune des satires de Varron n’ayant survécu intégralement, on serait fort embarrassé de dire ce qu’était au juste une ménippée, si, dans son Apolokyntose, Sénèque ne nous en avait laissé une imitation qui suffit à montrer dans quelle espèce de cadre animé et pittoresque se jouait le caprice de l’écrivain. Ce n’est pas le moment de marquer la différence profonde qu’il y a entre l’honnête Varron déguisant à dessein ses leçons morales sous la forme enjouée du badinage et le lâche rhéteur qui, pour flatter une reine meurtrière dont il devint sans doute l’amant, ne trouvait rien de mieux que d’inventer une odieuse plaisanterie sur la mort d’un prince empoisonné de la veille on n’est pas forcé d’avoir sur Sénèque les illusions enthousiastes de Diderot. Tout le monde connaît l’Apolokyntose, c’est-à-dire les piteuses aventures du malheureux Claude dans l’autre monde, sa grotesque comparution devant le conseil des dieux, ainsi que sa descente, plus bouffonne encore, aux enfers, où on le condamne solennellement à jeter les dés dans un cornet percé, à l’imitation des Danaïdes. Cette composition, tristement spirituelle, suffit, avec les Césars de Julien, à faire deviner par analogie ce qu’était la ménippée de Varron. Évidemment, une petite action dramatique y servait le plus souvent à concentrer l’intérêt, à ramener vers un centre commun l’ironie, laquelle de sa nature est courante et discursive. Dialogues, récits, épisodes, s’entremêlaient habilement ; partout la variété de la forme correspondait à la variété du fonds. Varron touchait tous les sujets dans tous les rhythmes, depuis le trimètre iambique jusqu’au galliambe, depuis l’anapeste jusqu’au vers élégiaque ; il mêlait le latin au grec, la citation au trait original, la parodie à l’imitation, le vers à la prose ; en un mot, ses Ménippées étaient un assaisonnement piquant de toutes choses, de raillerie comme d’érudition, de maximes graves comme de libres propos, de haute inspiration poétique comme de crudités moqueuses. Dans l’emportement de sa verve, le grave écrivain bravait toutes les difficultés de la mesure : « La lourdeur des pieds du vers, s’écrie-t-il avec un enthousiasme lyrique, ne saurait m’arrêter, car le bouquet du rhythme est lent à se flétrir. » Prévision vraie du poète ! Oui, quoiqu’elle se soit dénouée et peu à peu