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perdue sur le chemin des âges, il reste encore de cette tresse odorante quelques brins fleuris qui ont gardé leur senteur. Tâchons de la respirer à notre tour.

En général, les fragmens des Ménippées sont extrêmement courts ; cités le plus souvent par les grammairiens pour servir d’exemples à leur interprétation de quelque mot peu usuel, ils ne concordent guère entre eux et n’offrent que très rarement un sens suivi. Le hasard pourtant a voulu qu’en rapprochant quelques vers, isolément insérés par Nonius, on se trouve avoir deux passages un peu complets qui, par leur caractère sévère, font contraste avec le ton ordinairement railleur ou dogmatique de ces satires. Je les détacherai tout de suite, pour donner une idée de la poésie sobre et nerveuse de Varron. En essayant de traduire ces textes formés de lambeaux épars, qui se trouvent donner un beau sens, je citerai d’abord l’original ; tout le monde m’en saura gré, car ces deux remarquables fragmens peuvent passer pour inconnus. Le premier est une description de tempête :

Repente noctis circiter meridie,
Cum pictus aer fervidis late ignibus
Caeli chorvan astricen ostenderet,
Nubes aquales, frigido velo leves
Caeli cavernas aureas subduxerant,
Aquam vomentes inferam mortalibus ;
Ventique frigido se ab axe eruperant,
Phrenetici Septemtrionum filii,
Secum ferentes tegulas, ramos, syros.
At nos caduci, naufragi ut ciconiae,
Quarum bipinnis fulminis plumas vapor
Perussit alte, maesti in terrain cecidimus.

« Tout à coup, vers le milieu de la nuit, lorsque l’air émaillé au loin de feux brûlans laissait voir au ciel le chœur des astres, les nuées orageuses avaient replié rapidement leur voile humide sur les voûtes dorées du firmament et répandu en bas leur pluie sur les mortels ; les vents s’étaient échappés des glaces du pôle, fils indomptés du Septentrion, emportant après eux toitures, rameaux, poignées de branchage. Et nous, pliés, courbés sous la tempête et pareils à la cicogne dont le feu de la foudre ailée a brûlé les plumes, nous tombâmes accablés sur le sol. »

Sans doute l’harmonie virgilienne manque à ce style ; mais il y a là en revanche je ne sais quelle couleur forte et primitive dont seront charmés tous ceux qui gardent fidèlement le culte de la poésie.

Le second passage n’est pas indigne de celui qu’on vient de lire ;