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chose et fera sur soi des économies. » Désirez-vous voir un pédant ? romain, il vous le montrera « dissertant avec son museau velu et mesurant chaque mot avec un trébuchet à peser l’or. » Peut-être vous plairait-il d’assister à une consultation plaisante de médecins : déjà l’auteur des Ménechmes, ce précurseur de Molière, nous en avait montré un qui se vantait d’avoir remis une jambe cassée à Esculape ; mais ici, tant les fragmens sont insuffisans, nous en sommes réduits aux conjectures, et nous ne savons pas si c’était à un Argan guéri de ses maladies imaginaires que Varron faisait dire : Quid medico mihi est opus ? On trouvera au surplus dans les Ménippées plus d’un détail de mœurs fait pour consoler de ces pertes. Sans doute quand Varron assure que de son temps presque tous les fils de famille étaient prêts dès l’âge de dix ans à empoisonner leur père, il est poète, il exagère, il fait ce que fera plus tard Juvénal en disant qu’il n’y avait plus un honnête homme à Rome ; mais toujours est-il qu’un pareil propose marque les progrès effrayans de la perversion au sein de cette jeunesse qui s’élevait dans la honte, comme pour mieux supporter les hontes prochaines des Néron et des Tibère. Je conçois que, tout en admirant le progrès de la civilisation littéraire, un si grand esprit se tournât avec regret vers ces dures vertus du passé auxquelles il rendait hommage en disant : « Nos aïeux et nos arrière-aïeux, quoique leurs paroles sentissent l’ognon et l’ail, avaient la noblesse du cœur. » Le secret de la perte de Rome, Varron devait le connaître, c’était cette ambition effrénée que lui-même a peinte dans un hexamètre admirable :

Et petere imperium populi et contendere honores.

Le propre de la satire est de frapper de droite et de gauche, de fustiger sans distinction les grands comme les petits. L’auteur des Ménippées paraît être resté fidèle à ces devoirs du censeur littéraire. Lucile avait représenté les dieux délibérant dans une assemblée grotesque ; à en croire Arnobe et Tertullien, Varron n’aurait guère été plus respectueux pour les divinités de l’Olympe. Dans une de ses satires, il mettait en scène trois cents Jupiters sans tête ; dans une autre, il montrait Apollon dépouillé par des pirates et laissé en costume de statue. Plus d’une hardiesse de ce genre trouvait sa place, sous prétexte d’érudition : ainsi, à un endroit, les divinités égyptiennes, récemment transportées à Rome, étaient l’objet d’un sarcasme acerbe ; Lucile aussi avait parlé en termes courageux de l’esprit de superstition. Aux yeux de ces nobles poètes, la poésie était une leçon. – Puisque