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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/469

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les Ménippées ne ménageaient pas les dieux, pouvaient-elles épargner les contemporains ? La satire sur le Triumvirat s’est malheureusement perdue en entier ; il eût été bien curieux pourtant de voir comment Varron y maniait l’ironie politique, comment il parlait de Pompée, son chef, de César, son futur vainqueur. Esclaves qui mangeaient leurs maîtres à la façon des chiens[1], méchans auteurs qui bâclaient des comédies en l’absence des muses, sine alla Musa ; campagnards des anciennes tribus rustiques qui ne se rasaient qu’aux Nondines, c’est-à-dire tous les neuf jours[2], tout le monde attrapait sa chiquenaude : le poète était sans merci.

Les femmes aussi, vierges et matrones, comparaissaient devant le juge satirique. Ce n’est pas que Varron fût sévère au sexe des graces « Jeunes filles, disait-il en termes charmans, hâtez-vous de jouir de la vie, vous à qui la folle jeunesse permet de jouer, d’être à table, d’aimer, et de tenir les rênes de Vénus. » C’étaient là de vrais conseil de poète égayé, quoique cette fois Varron écrivît en prose ; lui-même disait plus vraiment ailleurs : « La jeune fille est exclue du banquet, attendu que nos ancêtres n’ont pas voulu que les oreilles de la vierge nubile fussent abreuvées du langage de Vénus. » Cette coutume romaine était empruntée à la Grèce, car, au rapport de Cornelius Nepos, les filles honnêtes d’Athènes ne mangeaient jamais qu’avec leurs parens. Varron avait sur les femmes les idées des anciens Romains[3] ; lanam fecit, à ses yeux aussi c’était la meilleure épitaphe pour une matrone. « Des mains filer la laine, disait-il dans une ménippée, et des yeux observer que la purée ne brûle pas ; » il prévenait du coup le grief de Chrysale dans les Femmes savantes :

On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.

  1. C’est ainsi qu’Ennius disait dans une comédie : « Maîtres de leurs maîtres, les esclaves audacieux ravagent les champs. » (Ambracia, fr. 2 ; éd. Bothe). Varron du reste, est un de ceux qui les premiers ont réclamé la famille pour les esclaves il suffit de comparer la douceur de ses préceptes à leur égard dans son Agriculture : avec la dureté de Caton, qui recommandait de se défaire de tous les instrumens hors de service, charrues usées, chevaux vieillis, esclaves âgés. Peut-être le mot de la ménippée qui vient d’être cité était-il mis dans la bouche d’un interlocuteur.
  2. De même pour les ongles, à ce que dit Pline l’ancien ; mais cela avait un motif religieux. En était-il ainsi de la barbe ? Varron assure que les premiers barbiers (un siècle plus tard on les retrouve à chaque instant dans Plaute) vinrent en Italie en 454. — De Re rust., II, 11,
  3. On voit dans son traité de l’Agriculture qu’il aimait chez les femmes l’énergie et le travail ; « Que vous semble, dit-il, de nos languissantes accouchées, étendues sur des lits de repos pendant plusieurs jours ? N’est-ce pas une pitié ? » (De Re rust., II, 10.)