Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attique. » Comment en effet ne serait-elle pas venue vers lui, vers lui, l’homme modéré par excellence, qui, sans en tirer stoïquement orgueil, avait quitté les honneurs pour l’étude ? N’était-ce pas lui qui avait le droit de dire : « Celui que l’or, la noblesse, la variété de sa science, rendent bouffi, ne cherche pas les traces de Socrate ? » Varron poursuivait vraiment la sagesse. Il me semble que j’entends le bon La Fontaine s’écrier que

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux…


quand je rencontre dans les Ménippées cette belle pensée à laquelle la traduction fait perdre son mâle accent : « Ni l’or, ni les trésors ne donnent le calme du cœur. Elles n’enlèvent pas à l’ame ses angoisses et ses superstitions, les montagnes d’or des Perses, les riches habitations des Crassus ! » On le voit, la conclusion morale, toutes les formules du précepte se glissent volontiers sous la plume de Varron. Tantôt c’est un proverbe emprunté à la sagesse du vulgaire : « Il n’est si bonne moisson qui n’ait quelque mauvais épi, si méchante qui n’en ait quelque bon ; » tantôt c’est une simple réflexion sur le bon usage de la vie : « Avoir bien vécu, ce n’est pas avoir vécu le plus long-temps, mais le plus sagement. » Sans doute Varron ne donne pas à ces diverses pensées le vif relief, le tour précis et savant qui fut le secret de La Rochefoucauld ; il n’enchâsse point énergiquement la maxime dans un vers concis comme le faisait admirablement Syrus pour ses mimes, et pourtant les principes de vertu, d’équité, de modération dont il parle dans ses brèves remarques, ont un caractère propre, un air de fierté indéfinissable, je ne sais quoi enfin d’austère et de sérieux qui touche à la grandeur : c’est tout ce qu’il faut pour durer.

Le recueil de Sentences qu’on vient d’imprimer à Padoue, d’après un manuscrit inédit du XIIIe siècle, est bien fait pour confirmer au vieux Romain sa réputation de moraliste ; en publiant ces précieux débris de la sagesse antique[1], M. le professeur Devit s’est montré le digne disciple de la savante école padouane, dont la tradition, depuis Forcellini, ne s’est pas éteinte. Arrivé à l’âge mûr, Pétrarque se rappelait avoir eu entre les mains, dans sa jeunesse, certains ouvrages de Varron qui depuis disparurent et qu’il essaya vainement de retrouver ; ce souvenir lui déchirait le cœur, recordatione torqueor, et

  1. Voir sur ce sujet le travail de M. Klotz (Jahrb. der Philologie, supp. IX, p. 582 et suiv.) et la toute récente édition de l’excellent livre de M. Bnehr, Gesch. der Römischen Literatur, Carlsruhe, t. II, p. 562.)