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il se plaignait amèrement de n’avoir pu goûter que du bout des lèvres ces antiques douceurs, summis labiis gustatœ dulcedinis. Sans être tout-à-fait pour la critique moderne le sujet d’un pareil désespoir, la disparition presque complète de l’œuvre de Varron doit inspirer de vifs regrets, et tout ce qui viendra les adoucir ne peut manquer d’être bien accueilli.

Les Romains avaient la coutume de choisir dans les écrivains célèbres certaines pensées détachées, certaines maximes qui réunies formaient une sorte de manuel dont se servaient ensuite les écoles : c’est ainsi, par exemple, que s’est formé le beau recueil qui donne à Syrus, le faiseur de mimes obscènes, une place éminente entre les moralistes anciens. Tira-t-on un pareil manuel des œuvres de Varron ? La chose semble assez vraisemblable ; ce qui est positif, c’est qu’au XIIIe siècle Vincent de Beauvais en donnait de nombreuses citations, comme d’un livre accrédité et dès long-temps connu. On savait donc qu’il existait des sentences de Varron dans Vincent de Beauvais : Schneider, après d’autres critiques[1], les avait précieusement reproduites, en tête du traité de l’Agriculture, comme la fleur de la vraie sagesse, flores prudentiœ civilis, et M. Conrad Orelli, dans sa collection des Vers sentencieux des Latins, avait à son tour ajouté quelques nouveaux extraits aux extraits antérieurs. Je citerai d’abord quelques-unes de ces maximes anciennes qu’on n’a jamais traduites, et qui, enfouies dans des collections peu populaires, ne sont connues que des latinistes de profession. Nous y retrouverons notre Varron des Ménippées :

- Parlez comme tous, sentez comme le petit nombre.
- En beaucoup de choses, c’est folie d’être sage contre tous[2].
- C’est donner une fois que de donner quand on vous demande ; c’est donner deux fois que de donner sans qu’on vous demande.
- Où qu’il aille, l’homme de cœur porte sa patrie après lui ; tout ce qui est sien, son ame l’enferme.
- Il y en a beaucoup qui goûtent les doctrines, comme les convives font des friandises du dessert.

  1. C’est dans le de Moribus hominum de Jacques de Cessole, imprimé à Milan en 1479, qu’on trouve les premières citations des sentences varroniennes tirées de Vincent de Beauvais, au nombre de dix-huit ; en 1624, Gaspar de Barth en donna de nouvelles dans ses Adversaria, de sorte que Schneider en put recueillir quarante-sept. Avec celles que vient de trouver M. Devit, on arrive maintenant au chiffre de cent soixante-cinq.
  2. Cela rappelle la pensée d’Eschyle dans le dialogue de Prométhée avec l’Océan : « Paraître fou est un heureux secret du sage. »