Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il y a certaines croyances qu’il faut arracher de l’esprit de celui qui sait, parce qu’elles usurpent la place du vrai qu’il faut savoir.- Prenez la parole le dernier, taisez-vous le premier.
- Beaucoup perdent leurs droits à l’éloge parce qu’ils se vantent eux-mêmes ; le sage se loue en louant dans les autres ce qu’il y a de bon en lui.

Les sentences qui viennent d’être retrouvées dans le manuscrit de Padoue ressemblent par le ton et par le style à celles qu’on vient de lire ; elles faisaient évidemment partie, elles étaient extraites de ce recueil beaucoup plus volumineux dont un écrivain du moyen-âge avait pu citer le septième livre, ce qui suppose une collection étendue. Plusieurs de ces pensées nouvelles sont incompréhensibles ; quelques-unes ont subi des altérations évidentes, et l’on voit que la main d’un compilateur grossier a passé par là[1]. Mais qu’importent ces leçons corrompues ? Le caractère de l’antiquité est là empreint à toutes les lignes. Pour qu’on en juge mieux, nous détacherons, en les traduisant, quelques-unes de ces belles maximes : quand il s’agit d’un monument inédit, citer et faire connaître est le premier devoir de la critique. On ne classe point les sentences : le désordre est là un art de plus, comme dans un atelier. Je transcris au hasard :


 - La mort paraît nouvelle, mais elle ne l’est pour personne ; elle embrasse la vie des deux côtés[2].
- C’est une grande force dans la vie de se réunir au plus grand nombre.
- Larmes d’héritier et de jeune mariée, rire déguisé.
- A qui sait peu, ce peu même est un ennui.
- L’ennui n’existe pas pour celui devant qui s’ouvrent les voies vastes et variées de la recherche[3].
- Les maîtres disent : On ne peut être surpris en flagrant délit de mensonge dans les matières que personne ne connaît.
- Dépasser la science ordinaire de tous ou du grand nombre est une belle chose, à la condition de n’être pas fou.
- Si la force de la vérité brille à mes yeux, l’agrément que donne la diction n’est rien.
- Nous mangeons le miel des abeilles, nous ne le faisons pas.

  1. Les Sententitoe ineditœ offrent quelques expressions nouvelles : c’est aux lexicographes de voir s’ils doivent leur donner sanction. Je remarque surtout les mots suivans qu’on ne trouve dans aucun glossaire de l’ancienne langue latine : subditio, alieniloquium, incontingens, canale (neutre), disquisitor.
  2. Il est difficile de rendre la concision de l’original : « Mors nulli nova sed credita, vitam utrinque complectitur. »
  3. Le texte a cette précision forte qui est la marque du style de Varron : « Nihil illi taedio, cui multae vel amplae inquirendorum patent viae. »