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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/476

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l’univers à un premier moteur intelligent, et des vérités nécessaires à un être nécessaire qui seul en est la substance et le fondement. Nous n’apercevons pas Dieu, mais nous le concevons, sur la foi de ce monde admirable exposé à nos regards, et sur celle de cet autre monde plus admirable encore que nous portons en nous-mêmes. C’est par ce chemin que la raison nous conduit à Dieu. Cette marche naturelle et régulière est celle de tous les hommes, qu’ils le sachent ou qu’ils l’ignorent. Elle doit donc suffire à une saine philosophie, et elle a suffi en effet aux meilleurs génies dans les écoles les plus diverses, à Platon et à Aristote, à Descartes, à Newton, à Leibnitz. Mais il y a eu de tout temps des esprits faibles et présomptueux, qui ne savent ni aller jusque-là ni s’arrêter là. Dans leur faiblesse, ils n’osent conclure de ce qu’ils voient à ce qu’ils ne voient pas ; croire à l’invisible leur paraît au-dessus de la raison, comme si tous les jours, à la vue du premier phénomène qui paraît à leurs yeux, ils n’admettaient pas que ce phénomène a une cause, même alors que cette cause ne tombe pas sous leurs sens. Ils ne l’aperçoivent point, mais ils y croient, par cela seul qu’ils la conçoivent nécessairement. L’homme et l’univers sont aussi des faits qui ne peuvent pas ne pas avoir une cause, bien que cette cause ne puisse être ni vue de nos yeux ni touchée de nos mains. La raison nous a été donnée précisément pour aller, et sans aucun circuit de raisonnement, du visible à l’invisible, du fini à l’infini, de l’imparfait au parfait. Telle est sa portée naturelle et par conséquent légitime. Elle possède une vertu qui lui est propre, une évidence dont elle ne rend pas compte et qui n’en est pas moins irrésistible à quiconque n’entreprend point de contester à Dieu la véracité des facultés qu’il en a reçues. Mais on ne se révolte pas impunément contre la raison[1]. Elle punit notre fausse sagesse en la livrant à l’extravagance. Quand on a resserré arbitrairement sa croyance dans les limites étroites de ce qu’on aperçoit directement, on étouffe dans ces limites, on en veut sortir à tout prix, et on invoque quelque autre moyen de

  1. Appuyons-nous ici sur deux passages admirables de celui qui est à tant de titres le maître vénéré de la philosophie française du xixe siècle. « La vie intellectuelle, dit M. Royer-Collard, est une succession non interrompue, non pas seulement d’idées, mais de croyances explicites ou implicites. Les croyances de l’esprit sont les forces de l’ame et les mobiles de la volonté. Ce qui nous détermine à croire, nous l’appelons évidence. La raison ne rend pas compte de l’évidence ; l’y condamner, c’est l’anéantir, car elle-même a besoin d’une évidence qui lui soit propre. Ce sont les lois fondamentales de la croyance qui constituent l’intelligence, et comme elles découlent de la même source, elles ont la même autorité ; elles jugent