Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

timent de contentement moins vif, mais plus délicat et plus durable que toutes les sensations agréables qui viennent du corps. Il semble que l’intelligence ait aussi son organe intime, qui souffre ou jouit, selon l’état de l’intelligence. Nous portons en nous une source profonde d’émotions, à la fois physiques et morales, qui expriment l’union de nos deux natures. L’animal ne va pas au-delà de la sensation, et la pensée pure n’appartient qu’à la nature angélique. Le sentiment, qui participe de la sensation et de la pensée, est l’apanage de l’humanité. Le sentiment n’est, il est vrai, qu’un écho de la raison ; mais cet écho se fait quelquefois mieux entendre que la raison elle-même, parce qu’il retentit dans les parties les plus intimes et les plus délicates de l’ame, et ébranle l’homme tout entier.

C’est un fait singulier, mais incontestable, qu’aussitôt que la raison a conçu la vérité, l’ame s’y attache et l’aime. Oui, l’ame aime la vérité. Chose admirable ! un être égaré dans un coin de l’univers, chargé seul de s’y soutenir contre tant d’obstacles, et qui, ce semble, a bien assez à faire de songer à lui-même, de conserver et d’embellir un peu sa vie, est capable d’aimer ce qui ne se rapporte point à lui, ce qui n’existe que dans un monde invisible ! Cet amour désintéressé de la vérité témoigne de la grandeur de celui qui l’éprouve.

La raison fait un pas de plus : elle va des forces et des lois de ce monde à leur auteur, des vérités nécessaires à l’être nécessaire qui en est le principe. Le sentiment suit la raison dans cette démarche nouvelle. La vérité et la science ne lui suffisent pas ; il ne s’arrête, il ne se repose que dans l’amour de l’être infini.

C’est en effet l’être infini que nous aimons en croyant aimer les choses finies, et même en aimant la vérité, la beauté, la vertu. C’est si bien l’infini qui nous attire et qui nous charme, que ses manifestations les plus élevées ne nous satisfont point, tant que nous ne les avons pas rapportées à leur source éternelle. L’homme de génie est bien loin d’être content à la vue de ses chefs-d’œuvre : il leur découvre mille imperfections ; il rêve une beauté qu’il n’a point vue, et que tout son art ne peut atteindre. Le cœur est insatiable, parce qu’il aspire à l’infini. Ce sentiment, ce besoin de l’infini, est au fond des grandes passions et des plus légers désirs. Un soupir de l’ame en présence du ciel étoilé, la mélancolie attachée à la passion de la gloire et de la science, à l’ambition, à tous les grands mouvemens de l’ame, l’expriment mieux sans doute, mais ne l’expriment pas davantage que le caprice et la mobilité de ces amours vulgaires, errant d’objets en