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objets, dans un cercle perpétuel d’ardens désirs, de poignantes inquiétudes, de désenchantemens douloureux.

La seule différence qu’il y ait dans toutes les démarches du cœur, c’est que tantôt il cherche l’infini sans savoir qu’il le cherche, et que tantôt il se rend compte de la fin dernière du besoin d’aimer qui le tourmente. Quand la réflexion s’ajoute à l’amour, si elle trouve que l’objet aimé est digne en effet de l’être, loin d’affaiblir l’amour, elle le fortifie ; loin de couper ses ailes divines, elle les développe, elle les nourrit, comme dit Platon[1] ; mais si l’objet de l’amour n’est qu’un simulacre de la beauté véritable, capable seulement d’exciter l’ardeur de l’ame sans pouvoir la satisfaire, la réflexion rompt le charme qui tenait le cœur attaché, dissipe la chimère qui l’enchantait. Il faut être bien sûr de ses attachemens pour oser les mettre à l’épreuve de la réflexion. Ô Psyché, Psyché ! respecte ton bonheur : n’en sonde pas trop le mystère ! Garde-toi d’approcher la redoutable lumière de l’invisible amant qui possède ton cœur ! Au premier rayon de la lampe fatale, l’amour s’éveille et s’envole. Image charmante de ce qui se passe dans l’ame, lorsqu’à la sereine et insouciante confiance du cœur succède la réflexion avec son triste cortége. Tel est sans doute aussi le sens du mythe sacré de l’arbre de la science. Avant la science et la réflexion sont l’innocence et la foi. La science et la réflexion engendrent d’abord le doute, l’inquiétude, le dégoût de ce qu’on possède, la poursuite agitée de ce qu’on ignore, les troubles de l’esprit et de l’ame, le dur travail de la pensée, et dans la vie bien des fautes jusqu’à ce que l’innocence, à jamais perdue, soit remplacée par la vertu, la foi naïve par la vraie science, et qu’à travers tant d’illusions évanouies l’amour soit enfin parvenu à son véritable objet.

L’amour spontané a la grace naïve de l’ignorance et du bonheur. L’amour réfléchi est bien différent ; il est sérieux, il est grand, jusque dans ses fautes mêmes, de la grandeur de la liberté. Ne nous hâtons pas de condamner la réflexion : si elle produit souvent l’égoïsme, elle produit aussi le dévouement. Qu’est-ce en effet que se dévouer ? C’est se donner librement et en toute connaissance. Voilà le sublime de l’amour, voilà l’amour digne d’une noble et généreuse créature, et non pas l’amour ignorant et aveugle. Quand l’affection a vaincu l’égoïsme, au lieu d’aimer son objet pour elle-même, l’ame se donne à son objet, et, miracle de l’amour, plus elle donne, plus elle pos-

  1. Voyez le Phèdre et le Banquet, t. VI de notre traduction.