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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/480

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sède, se nourrissant de ses sacrifices et puisant sa force et sa joie dans son entier abandon. Mais il n’y a qu’un être qui soit digne d’être aimé ainsi, et qui puisse l’être sans illusions et sans mécomptes, sans borne à la fois et sans regret, à savoir l’être parfait qui seul ne redoute pas la réflexion, et qui seul aussi peut remplir toute la capacité de notre cœur.

Le mysticisme s’attache au sentiment pour l’égarer en exagérant sa puissance.

Le mysticisme commence par supprimer dans l’homme la raison, ou du moins il subordonne et sacrifie la raison au sentiment.

Écoutez le mysticisme. — C’est par le cœur seul que l’homme est en rapport avec Dieu. Tout ce qu’il y a de grand, de beau, d’infini, d’éternel, c’est l’amour seul qui nous le révèle. La raison n’est qu’une faculté mensongère. — De ce qu’elle peut s’égarer et s’égare souvent, on en conclut qu’elle s’égare toujours. On la confond avec tout ce qui n’est pas elle. Les erreurs des sens et du raisonnement, les illusions de l’imagination, et même les extravagances de la passion qui entraînent quelquefois celles de l’esprit, tout est mis sur le compte de la raison. On triomphe de ses imperfections ; on étale avec complaisance ses misères, et le système dogmatique le plus audacieux, puisqu’il aspire à mettre en communication immédiate l’homme et Dieu, emprunte contre la raison toutes les armes du scepticisme.

Le mysticisme va plus loin : il attaque jusqu’à la liberté ; il ordonne de renoncer à soi-même pour s’identifier par l’amour avec celui dont l’infini nous sépare. L’idéal de la vertu n’est plus la courageuse persévérance de l’homme de bien, qui, en luttant contre la tentation et la souffrance, accomplit la sainte épreuve de la vie ; ce n’est pas non plus le libre et éclairé dévouement d’une ame aimante : c’est l’entier et aveugle abandon de soi-même, de sa volonté, de tout son être, dans une contemplation vide de pensée, dans une prière sans parole et presque sans conscience.

La source du mysticisme est dans cette vue incomplète de la nature humaine qui ne sait pas y discerner ce qu’il y a de plus profond, et se prend à ce qu’il y a de plus frappant, de plus saisissant, et par conséquent aussi de plus saisissable. Nous l’avons déjà dit, la raison n’est pas bruyante, et souvent elle n’est pas entendue, tandis que l’écho du sentiment retentit avec éclat. Dans ce phénomène composé, il est naturel que l’élément le plus apparent couvre et offusque le plus intime.

D’ailleurs, que de rapports, que de ressemblances trompeuses entre